Partenariat oriental : un bilan en demi-teinte mais une volonté forte d’avancer

Le 13 juillet dernier, en Commission des Affaires européennes, Pascal Allizard, sénateur du Calvados, et moi-même avons présenté notre rapport d’information sur le Partenariat oriental.

Après avoir entendu une cinquantaine de personnes lors d’auditions et de déplacements à Bruxelles et en Géorgie, notre rapport dresse le bilan de ce projet ambitieux qu’était, dans sa genèse, le Partenariat oriental, influencé par les principes de l’Ostpolitik du Chancelier Willy Brandt, marqué par un contexte porteur pour le projet européen, au lendemain des élargissements de 2004 et 2007 : réunification de l’Europe, volonté de diffuser les valeurs européennes, recherche de la paix et de la prospérité.

Le Partenariat oriental constitue l’un des piliers de la politique européenne de voisinage formalisée en 2004, visant à instaurer une zone de prospérité et un voisinage amical – un « cercle d’amis » selon l’expression du président de la Commission européenne de l’époque, Romano Prodi. Cette politique de voisinage, qui a reçu un fondement juridique plus ambitieux avec le traité de Lisbonne, a pour but d’encourager des relations plus étroites avec les pays limitrophes de l’Union non engagés dans un processus d’adhésion et promeut quatre objectifs : raffermir les liens politiques ; aider à répondre aux critères politiques de l’Union ; entamer une intégration économique partielle ; soutenir les réformes économiques, sociales et environnementales.

Trouvant son origine en mai 2008 dans une initiative commune de la Pologne et de la Suède, le Partenariat oriental est lancé lors du sommet de Prague du 7 mai 2009 pour renforcer les relations de l’Union européenne avec six pays de son voisinage oriental : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine.

Ces relations doivent reposer sur les valeurs de la politique européenne de voisinage et sont fondées sur la coopération politique, avec la perspective pour ces pays de bénéficier à terme d’un régime sans visa et d’un accord d’association politique avec l’Union européenne, et économique, puisque l’intégration économique est également envisagée à travers la négociation d’un accord de libre-échange.

Si la logique de différenciation, qui consiste à adapter le processus à la situation particulière de chacun, est affirmée, le Partenariat oriental est conçu comme une enceinte de coopération multilatérale. Celle-ci s’appuie sur des sommets et réunions ministérielles réguliers et sur des projets concrets dans cinq domaines : gestion des frontières et prévention ; réponses aux catastrophes naturelles ou d’origine humaine ; gouvernance environnementale ; facilités pour les PME ; énergie. Elle est dotée d’une instance parlementaire, l’assemblée Euronest, qui comprend 120 membres, issus pour moitié du Parlement européen et pour moitié des parlements nationaux des pays concernés, sauf la Biélorussie.

Les objectifs originels, ambitieux, étaient empreints d’un optimisme certain. Les résultats concrets sont en revanche assez limités.

La politique européenne de voisinage dispose de moyens financiers non négligeables : 15,4 milliards d’euros sur la période 2014-2020, dont deux tiers pour le Sud et un tiers pour le Partenariat oriental, soit 5 milliards d’euros. L’Ukraine en est le premier bénéficiaire.

Toutefois, la réalisation des objectifs du Partenariat oriental s’est heurtée à des obstacles inattendus, de nature politique. Chaque sommet – celui fondateur à Prague en 2009, celui de Varsovie en 2011, celui de Vilnius en 2013 et enfin celui de Riga l’année dernière – a illustré le désenchantement de l’Union européenne vis-à-vis de ses partenaires. Le sommet de Vilnius a même été celui d’une franche déception européenne lorsque le Président Ianoukovitch, sous la pression russe, dit-on, a refusé de signer l’accord d’association négocié depuis plusieurs années, ce qui a été l’élément déclencheur des événements en Ukraine.

Cette situation s’explique par l’ambiguïté initiale du Partenariat oriental, son péché originel. S’agit-il d’un projet spécifique ne préjugeant en rien de l’évolution future des relations de l’Union européenne avec chacun des six pays concernés, ou bien d’une antichambre pour une adhésion future ? À l’époque, les doutes ont subsisté, entretenus à la fois par les institutions européennes, dont les maladresses ont été récemment reconnues par le Président Juncker, et par les pays concernés, dont les aspirations divergeaient.

Dans le même temps, la Russie, à laquelle le Partenariat oriental avait été dans un premier temps proposé mais qui a préféré opter pour un partenariat stratégique spécifique avec l’Union européenne, a pris ombrage de cette initiative. Elle a eu l’impression que le Partenariat était un acte d’hostilité à son endroit. En effet, les six pays concernés étaient tous des anciennes républiques soviétiques et entretenaient avec Moscou des relations étroites, mais pas forcément bonnes. La Russie a perçu le Partenariat comme un choix exclusif imposé à ces pays entre le modèle européen et le modèle russe, à un moment où, après une période de relatif effacement sur la scène internationale consécutif à la désintégration de l’Union soviétique, elle voulait réaffirmer ses ambitions.

Cette méfiance russe s’est progressivement muée en hostilité. Le Partenariat a alors fait l’objet de diverses tentatives de déstabilisation, de pressions directes ou indirectes, de regains de tensions dans les conflits gelés ou encore de mise en oeuvre d’une union douanière puis d’une union économique eurasiatique avec les partenaires de l’Union européenne. L’annexion de la Crimée et la situation dans l’Est de l’Ukraine n’ont évidemment rien arrangé.

Le Partenariat oriental doit être refondé en suivant une plus grande différenciation. Sur les six accords d’association possibles, trois ont été signés, avec l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie. L’accord avec l’Arménie est en cours de renégociation – son ambassadeur a déclaré qu’elle signerait avec l’Union européenne et la Russie, ou avec personne -, l’Azerbaïdjan souhaite un accord sur mesure et la Biélorussie laisse ouvertes différentes options mais s’est rapprochée de l’Union européenne depuis la levée des sanctions la visant.

Les soubresauts politiques dont le Partenariat oriental a été victime illustrent les limites de l’approche technique, voire technocratique retenue par l’Union européenne.

Le bilan du Partenariat peut paraître décevant à l’aune d’objectifs originels très, voire trop ambitieux. Jusqu’à présent, il n’a pas pu instituer une vaste zone de stabilité, de prospérité et de sécurité – mais le pouvait-il, vu le contexte ? Prenons en compte les avancées observées depuis sept ans, sur les visas par exemple, dans des pays qui, quoique très divers à première vue, présentent plusieurs points communs structurels : une indépendance récente, une situation de départ objectivement très éloignée des standards ouest-européens et une relation forte avec la Russie pour d’évidentes raisons historiques.

Le bilan du Partenariat oriental est en demi-teinte. Pour autant, en dépit de maladresses, il faut continuer à tendre la main à ces pays. Cette politique généreuse et courageuse a encore des réalisations à accomplir, moyennant quelques réorientations. Son bilan ne pourra être mesuré que sur la durée, selon des critères concrets. Débarrassé de ses déclarations grandiloquentes, le Partenariat oriental sera un succès s’il fait progresser chacun des pays concernés, à son rythme, en fonction de son histoire et de ses spécificités. Il doit demeurer une priorité européenne, politique comme budgétaire. L’abandonner ou le négliger serait un mauvais signal adressé à ces pays et à leurs peuples qui aspirent souvent à des changements intérieurs profonds. L’Union européenne s’est construite pas à pas à partir de réalisations concrètes. Pourquoi en serait-il autrement du Partenariat oriental ?

Le Partenariat doit aussi démontrer sa légitimité et son utilité aux yeux de la Russie. Plutôt que de créer des frustrations réciproques par des discours clivants, le Partenariat oriental doit montrer qu’il ne vise ni à contenir ni à concurrencer la Russie, mais plutôt à contribuer à des relations apaisées et coopératives entre l’Union européenne et son grand voisin. Il ne doit pas être construit sur une prétendue incompatibilité de principe avec l’Union économique eurasiatique, mais au contraire renforcer les relations russo-européennes. C’est ce qu’a déclaré le Président Hollande lors de sa visite officielle à Astana en décembre 2014.

Les six pays concernés sont très différents, politiquement, économiquement et dans leurs relations avec la Russie. Cette hétérogénéité impose de réaffirmer trois principes fondamentaux :

  • la nécessité d’une plus grande différenciation dans l’approche de Bruxelles avec chacun de ces pays – de ce point de vue, il est indéniable que la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine entretiennent des relations plus étroites avec l’Union européenne que les trois autres ;

  • la conditionnalité : ces relations seront approfondies au regard des progrès accomplis par chacun de ces pays ;

  • l’apaisement, avec ces pays, entre eux et avec la Russie.