L’article 32 du projet de loi de programmation militaire organise le transfert du contentieux des pensions d’invalidité des juridictions spéciales aux juridictions administratives. De nombreuses associations ont saisi les parlementaires pour leur faire part de leurs inquiétudes. Au cours de l’examen de ce texte par le Sénat, je me suis fortement mobilisée sur cette question.
Lors de l’audition de Jean-Claude Bodin, Secrétaire Général pour l’Administration, le 11 avril dernier par le Sénat et que j’ai questionné sur cette problématique précise :
« Le dispositif proposé concernant les pensionnés fait intervenir un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), avant de saisir le tribunal administratif. Je trouve que cette procédure est complexe et peut entraîner pour certains justiciables des difficultés pour exercer leurs droits. En effet, les délais sont très courts pour saisir le juge – on parle de deux mois – et ne prennent pas en compte les circonstances particulières de nos militaires, comme les OPEX, les mutations, ou les hospitalisations.
En outre, se pose la question du coût engendré par cette procédure. Tous les justiciables, y compris les résidents ultramarins, dépendront d’une seule commission nationale. Comment ces derniers pourront-ils financer un déplacement pour se rendre devant cette dernière ?
Enfin, je ne comprends pas le choix de ce véhicule législatif sur un sujet aussi sensible et qui touche le droit à réparation d’autant de personnes.
On présente le tribunal administratif, en cas d’échec du RAPO, comme étant la voie royale. Mais, quand on connait l’engorgement des tribunaux administratifs et la baisse des effectifs à laquelle ils sont confrontés, on voit que les tribunaux administratifs n’arrivent pas à traiter leurs propres procédures. Aussi, je ne suis pas sûre que ce que vous proposez permettra de se prémunir d’une prochaine condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. »
Jean-Claude Bodin m’a alors donné les éléments suivants :
« Sur la réforme du contentieux des pensions militaires d’invalidité, il est apparu indispensable de transformer un modèle centenaire à bout de souffle. Le dispositif actuel mélange l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. Nous avons au niveau local des tribunaux qui relèvent de l’ordre judiciaire, avec des magistrats de l’ordre judiciaire. Ce sont souvent des magistrats honoraires. Le délai de traitement des demandes est de deux ans. La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour des délais excessifs. Or, en cassation, c’est le conseil d’État qui intervient. En outre, la jurisprudence des tribunaux des pensions n’est pas connue. Nous voulons mettre l’ensemble du dispositif dans l’ordre administratif. Il y a 47 tribunaux administratifs, permettant une proximité. Nous avons également introduit un dispositif de recours administratif préalable obligatoire (RAPO) pour plus de rapidité. Nous connaissons déjà ce dispositif. L’ensemble des recours des militaires, passe devant la commission de recours des militaires qui siège au sein du ministère. Pour ce RAPO, il y aura une commission spécifique, adossée à la commission de recours des militaires. Elle sera présidée par un contrôleur général des armées, vice-présidée par un médecin général. Il y aura un représentant des pensionnés. Nous allons nous organiser pour qu’il y ait un représentant des pensionnés et deux suppléants pour pouvoir y mettre quelqu’un pouvant représenter les victimes des actes de terrorisme. Ainsi, la composition de cette commission pourra être adaptée le cas échéant.
Le pensionné pourra bénéficier de l’aide juridictionnelle de plein droit. Il pourra être assisté devant cette commission d’un avocat, d’un médecin, ou d’un membre de sa famille. Ce n’est pas un recul des droits des pensionnés, mais une amélioration de la procédure, et de la connaissance du droit. La jurisprudence sera accessible à tous. Ce dispositif a été bâti en étroite relation avec les associations. Nous avons en tête la situation de nos militaires blessés aujourd’hui. »
Convaincue que cette réponse ne suffisait pas à rassurer les associations d’anciens combattants inquiètes, j’ai souhaité déposer un amendement au projet de loi, amendement qui a été adopté par la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, maintenu en séance malgré la volonté du Gouvernement de le supprimer, et maintenu lors de la Commission Mixte Paritaire qui a eu lieu le 19 juin dernier.
Cet amendement prévoit qu’un rapport annuel sera remis par le Gouvernement au Parlement sur le suivi du transfert à la juridiction administrative du contentieux des pensions et sur la mise en place du recours administratif préalable obligatoire (RAPO). Il se trouve donc désormais dans la version finale du texte que le Parlement adoptera définitivement le 28 juin prochain.
Je sais qu’il peut paraître en deçà des attentes de certaines associations, mais demander la suppression de l’article 32 n’aurait abouti qu’à un rejet massif de ma proposition par le Parlement. Ce rapport annuel permettra d’assurer le suivi de cette réforme d’ampleur et de réajuster les dispositifs s’ils confirment vos inquiétudes.
Je ne manquerai pas d’être vigilante quant à la publication annuelle de ce rapport, et je m’engage à transmettre au Secrétaire Général pour l’Administration toute situation sur laquelle les associations pourraient m’alerter.