Comme d’autres causes tout aussi justes, celle des Afghans avait fini, après les milliards déversés par la communauté internationale, par susciter une forme de lassitude. Devant les échecs répétés à résorber totalement le mouvement taliban, les Etats-Unis ont en effet, sous l’impulsion du président Trump, engagé des négociations directes avec ce dernier, sans même y associer le gouvernement afghan. L’accord de Doha signé le 29 février 2020 prévoyait que les Talibans s’abstiendraient désormais d’attaquer directement les forces de la coalition et de soutenir le terrorisme international ; en échange de quoi les troupes étrangères se retireraient au bout de 14 mois. L’accord prévoyait aussi l’ouverture d’un processus de réconciliation inter-afghane.
En réalité, en négligeant d’associer le gouvernement aux discussions, on lui portait un coup fatal. Sa légitimité était minée, celle des Talibans renforcée ; ces derniers n’avaient aucune raison d’engager un processus de réconciliation avec une autorité qu’ils n’avaient jamais reconnue. L’accord était donc, dans une très large part, un faux-semblant qui permettait aux Etats-Unis de mettre fin au gouffre financier qu’était l’aide financière et militaire à l’Afghanistan. L’Union européenne était, elle, demeurée largement spectatrice.
C’est ainsi que le 1er mai 2021, à l’issue de la période des 14 mois prévue par l’accord, les troupes internationales commençaient leur retrait ; les Talibans lançaient au même moment une grande offensive. L’armée afghane, entraînée et équipée par les forces internationales, n’a tenu que quelques semaines. Dans de nombreuses provinces, la reddition a été négociée, sans combat, avec les Talibans.
Depuis, ces derniers font ce qu’ils savent faire de mieux : discriminer, opprimer, contrôler. Les femmes sont évidemment les premières cibles. Malgré les espoirs exprimés par certains à leur arrivée au pouvoir, les Talibans n’ont pas changé depuis 2001. Ils sont sans doute devenus un peu plus habiles, mais le fond reste le même. Ainsi, ils n’ont pas réimposé tout de suite les restrictions sur les femmes. Elles reviennent progressivement.
Si le ministère pour la promotion de la vertu et la répression du vice a immédiatement été rétabli, ils ont attendu mars 2022 pour interdire l’enseignement secondaire aux jeunes filles, décembre 2022 pour leur fermer les portes des universités. En novembre de la même année, une série de lieux publics leur étaient défendus ; à la même période, elles ont perdu le droit d’exercer un emploi dans certains secteurs dont l’enseignement.
En août 2024, une nouvelle série de mesures est prise : interdiction de se déplacer sans tuteur masculin, obligation de se couvrir le corps et le visage, interdiction de tout contact visuel avec un homme qui n’est pas de la famille, interdiction de chanter ou de prendre la parole en public.
Les Talibans poursuivent ainsi une stratégie d’étouffement progressif des femmes, allant jusqu’à les priver littéralement de leur voix. L’Afghanistan est en train de redevenir une prison pour elles, alors que les acquis des vingt années de présence internationale sont brutalement remis en cause.
Y a-t-il malgré tout des motifs d’espoir ? Sans doute, car l’Afghanistan de 2021 n’est pas celui de 2001. On pouvait, il y a plus de vingt ans, condamner une population à l’ignorance en la privant d’accès au savoir. A l’ère d’internet, c’est beaucoup plus difficile. De plus, vingt années de relative ouverture, notamment dans le domaine de l’éducation, ne peuvent s’effacer d’un trait de plume. Il est donc probable que les Afghans ne se résigneront pas à voir la porte se refermer – encore faut-il que la pression internationale se maintienne.
Face aux nouveaux maîtres de Kaboul, la communauté internationale affiche une unanimité de façade. Les sanctions qui frappent les Talibans depuis 1999 ont été reconduites par le Conseil de sécurité en décembre 2023, à l’unanimité. Mais en réalité, les attitudes vis-à-vis du régime varient. D’abord, les pays du voisinage immédiat et un peu plus lointain se sont accommodés, de fait, du retour des Talibans même s’ils ne reconnaissent pas leur régime. Au demeurant, l’Iran, la Russie, la Chine n’ont jamais fait des droits des femmes une priorité. De plus, ils ne sont pas excessivement pressés de voir revenir une présence occidentale.
Du côté des anciens partenaires de la coalition, des divergences font jour également. Certains pays du Nord, comme la Norvège, sont partisans de nouer un dialogue avec les Talibans, afin d’éviter une radicalisation encore plus grande. Le Japon est également sur cette ligne.
D’autres, dont la France, estiment qu’il ne faut au contraire pas céder sur les principes, car les Talibans s’empressent de mettre en scène toute concession comme une victoire et un pas vers la reconnaissance. Ce fut le cas lors de la rencontre de Doha les 30 juin et 1er juillet entre une délégation des Nations-Unies, dirigée par Roza Otunbayeva, directrice de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), et les Talibans. L’ONU a en effet accepté de recevoir séparément des représentants de la société civile, validant ainsi la démarche d’exclusion des Talibans.
Dans ce contexte, la proposition de résolution européenne de notre collègue Pascal Allizard est particulièrement bienvenue. Elle vient en soutien de la position de la France, qui consiste à ne rien céder sur les principes, et à réaffirmer la nécessité d’un respect inconditionnel des droits des femmes et des jeunes filles. Cette proposition de résolution a été adoptée par la commission des affaires européennes le 17 octobre dernier ; il nous revenait, à la Commission des Affaires européennes, de l’examiner dans un délai d’un mois.
J’ai proposé plusieurs amendements qui visent à préciser le propos. Certains sont de forme. Un autre fait mention du soutien indispensable aux ONG qui oeuvrent en Afghanistan. Nous avons en effet des associations toujours actives là-bas, certaines très anciennes, ainsi qu’un hôpital de pointe installé à Kaboul, l’Institut français pour la mère et l’enfant.
Enfin, j’ai souhaité l’ajout d’un alinéa pour réaffirmer avec force que toute discussion avec les Talibans doit inclure des représentants de la société civile afghane, et notamment des femmes.
Je souhaite enfin appeler à tirer les leçons de l’Afghanistan. Elles sont accablantes : après vingt ans de présence massive dans le pays, des milliards dépensés, ce pays déjà si éprouvé par les guerres est revenu à son point de départ. Nous avons fait naître des espoirs au sein des fractions les plus discriminées de la population, à commencer par les femmes et les minorités ethniques et confessionnelles, avant de nous résigner, dans les faits, au retour des Talibans au pouvoir. D’où la nécessité, plus que jamais, de ne pas abandonner l’Afghanistan.