Lors de ses auditions du mardi 21 janvier 2020 la Commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre auditionnait Hugo Micheron, docteur en sciences politiques, chercheur à l’École normale supérieure. Je suis intervenue pour parler de l’abolition des frontières, à l’ère d’internet et rappeler la triste situation que notre département a connue en matière de radicalisation.
Élue de Trèbes, certains sujets me tiennent à coeur. On voit que, même si le califat a disparu, le djihadisme se maintient sous différentes formes. Il est très prégnant chez nous, dans les prisons ou au travers de la question des revenants de Syrie.
On a très peu parlé d’Internet et des dégâts qu’il occasionne. Dans différentes interviews, Hugo Micheron a montré à quel point, pour certains, la prison devenait une étape où ils peuvent se ressourcer et étudier les moyens par lesquels ils pourront déstabiliser la laïcité et les institutions actuelles.
On évoque les vecteurs de la pédagogie et de l’enseignement. Mais le refus de l’enseignement classique et le retour, dans certains quartiers, à des enseignements prodigués dans les mosquées, officielles ou non, pose un souci.
On ne dit pas assez que le terroriste de Trèbes était un pur produit de la fédération des oeuvres laïques. Il était arrivé à l’âge de neuf ans et avait bénéficié de tous les accompagnements sociaux, avec l’insertion dans son quartier, où il était d’ailleurs animateur pendant les vacances.
Hugo Micheron m’a répondu : « Sur la question du net, terrain que j’ai très peu abordé, je vous invite à prendre conscience que Google est salafiste. Si vous faites une recherche quelconque sur l’islam dans Google – je rappelle que 90 % des articles consultés figurent sur la première page de résultats de Google -, huit pages sur dix correspondront à des orientations les plus orthodoxes, voire ouvertement salafistes. Il y a là un vrai problème.
Quand on pense au rôle que jouent les réseaux sociaux, avec un enfermement algorithmique réel, je vous invite à envisager la possibilité d’un impôt radicalisation dans les débats sur la fiscalité que peut avoir le Parlement. Il en va des réseaux sociaux comme de Google. Cela pose la question de l’accessibilité des contenus. Internet est la bibliothèque interdite des salafistes. Que leur compte soit bloqué leur pose vraiment problème, car ils sont alors empêchés d’avoir accès au grand monde. Il faut, sur ce plan, engager une réflexion sur le long terme.
Les écoles privées hors contrat se multiplient. Les salafistes sont fascinés par la possibilité de monter un système scolaire parallèle. Cela vaut aussi pour la mise en place d’études, à travers le Centre national d’enseignement à distance (CNED). Par exemple, dans la plus grande académie de France, l’académie de Créteil, qui compte 1 million d’enfants, le nombre d’élèves passés dans le hors contrat a doublé, passant de 3 000 à 6 000, entre 2015 et 2017, soit au moment de l’effondrement de Daech. C’est beaucoup !
J’ai retranscrit dans mon livre cette remarque d’un djihadiste, proche ami et voisin de cellule d’Amedy Coulibaly : notre génération est sacrifiée, mais notre but est que nous soyons suffisamment nombreux, quand nos enfants auront notre âge – trente ans -, pour que vous ne puissiez pas nous gérer. Il me suggérait alors avec condescendance d’aller dans les écoles plutôt que dans les prisons…
Cette question doit être prioritaire. Il faut former un corps d’inspecteurs. Ce travail a commencé avec la loi de février 2018, mais ce doit être un axe assez structurant sur le long terme.
Ce que vous dites sur l’auteur de l’attentat de Trèbes est très significatif : j’ai rencontré beaucoup de surveillants en collège ou en lycée, mus par l’idée de se placer à des niveaux très intermédiaires, mais en fait assez clés de l’action de l’État ou des services publics. Il faut y faire attention. Personne n’oubliera que Mickaël Harpon travaillait dans le service de la préfecture chargé de surveiller l’action terroriste…
Les djihadistes ont pris conscience que l’État français avait été beaucoup plus fort et que le tissu social français avait été beaucoup plus résistant à leurs coups de boutoir. Du coup, ils cherchent à s’immiscer à ce niveau, avec l’idée qu’il suffirait de répandre la paranoïa. Un certain nombre d’axes de la politique de l’État doivent être sanctuarisés face à cette question, si on considère celle-ci comme une question d’avenir. »