Les nouvelles routes de la soie : simple label économique ou nouvel ordre mondial ?

Le 28 mai dernier, avec mon collègue le sénateur Pascal Allizard, je présentais notre rapport sur  les nouvelles routes de la soie : simple label économique ou nouvel ordre mondial ?

Que sont les nouvelles routes de la soie, mises en oeuvre, à l’initiative du Président chinois, Xi Jinping, depuis 2013 ?

Ces nouvelles infrastructures – routes, chemin de fer, ports, aéroports, réseaux de fibre optique, câbles sous-marins, réseaux électriques, réseaux de transports d’énergie, etc. – sont organisées autour d’un axe terrestre traversant l’Europe centrale, l’Asie centrale, la Russie, le Caucase, mais aussi la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan et d’un axe maritime reliant la Chine à l’Afrique orientale et à la Corne de l’Afrique. Les nouvelles routes de la soie s’étendent désormais vers l’Amérique latine et la zone arctique et concernent de nouveaux secteurs, en particulier le domaine spatial et le domaine numérique.

Bien davantage qu’un réseau d’infrastructures, vecteur de croissance mondiale, ces routes constituent un instrument de développement intérieur et extérieur de la Chine et une déclinaison d’une vision géopolitique chinoise, c’est-à-dire d’une politique de puissance dans un cadre géographique déterminé.

La France doit prendre part à cette initiative, dans un positionnement aussi lucide que dynamique. Ce rapport affirme la nécessité de créer les conditions d’un équilibre satisfaisant dans les relations entre la Chine, la France et l’Europe. Il convient de poser les bases d’un partenariat commercial fondé sur la réciprocité de l’ouverture des marchés, le respect de la concurrence, de la transparence et de la propriété intellectuelle, et un partenariat stratégique basé sur la coopération multilatérale et cartellisée.

Nos recommandations

 

Recommandation : Soutenir l’évaluation indépendante des effets des nouvelles routes de la soie, dans les domaines géopolitique, économique, et environnemental.

A. Domaine géopolitique

A1. Recommandation : Pour la France, jouer un rôle moteur dans les nouvelles routes de la soie. La France doit être force d’impulsion dans sa relation bilatérale avec la Chine afin de s’intégrer officiellement dans le processus, selon les modalités conformes à ses objectifs de réciprocité et dans le respect de ses engagements internationaux. À ce titre, la France a également un rôle moteur à jouer dans le développement de la relation entre la Chine et l’Union européenne.

A2. Recommandation : Considérer, sans naïveté ni agressivité, que la Chine, par ses caractéristiques économiques et militaires actuelles, est appelée à mener une politique de puissance, et que la politique des nouvelles routes de la soie y participe.

A3. Recommandation : Porter les messages communs communautaires, car une action concertée de l’Union a plus de chance d’aboutir. Inscrire le sujet au Conseil des affaires étrangères et au Conseil « Affaires économiques et financières » (Ecofin) : sortir de la logique de silo et plus globalement du silence de l’Union sur ce sujet. Enfin, soutenir l’adoption de la stratégie communautaire sur la connectivité entre l’Europe et l’Asie. Prendre en compte, dans cette optique, le TRACECA (Transport Corridor Europe-Caucase- Asie).

A4. Recommandation : Acte doit être donné aux pays membres de l’Union européenne qui participent au « Format 16+1 » qu’ils respectent les normes communautaires, particulièrement dans les domaines de compétences partagées qui sont abordés dans le cadre de leur coopération avec la Chine. La Commission européenne et le SEAE sont invités en tant qu’observateurs aux sommets du Format. Les pays membres de l’Union européenne pourraient s’appuyer sur eux pour définir, en tant que de besoin, des positions communautaires au sein du Format afin de défendre au mieux leurs intérêts et leur éviter ainsi de se trouver mis en concurrence sur certains sujets. Il serait souhaitable que les prochains sommets UE-Chine et 16+1 en 2018 fassent l’objet d’une concertation entre les pays membres de l’Union européenne, afin que la cohérence communautaire ne soit pas prise en défaut et que les membres de l’Union veillent tous ensemble à défendre leurs intérêts communs à l’occasion de chaque rencontre avec la Chine, quel qu’en soit le format.

A5.  Recommandation : La France, puissance riveraine de la zone indopacifique, a, dans le cadre de sa politique étrangère d’initiative et d’équilibre, des relations étroites avec chacun des membres du groupe Quad. Elle a noué une relation stratégique avec l’Inde dès 1998, avec l’Australie en 2017. Elle mène un dialogue stratégique de haut niveau avec le Japon, rehaussé au niveau des ministres des affaires étrangères en 2012. Elle est membre fondateur de l’OTAN et entretient une relation forte avec les États-Unis. La France, qui participe largement aux instances de coopération et de dialogue de la zone indopacifique, que ce soit le dialogue Shangri-La, les sommets de l’Asean, etc., pourrait également s’associer aux discussions du groupe Quad. Elle pourrait en outre renforcer ses coopérations, notamment dans le domaine maritime avec le Japon, l’Australie et l’Inde.

B. Domaine économique

B1. Recommandation : Veiller à dresser une analyse des risques économiques rigoureuse des participations envisagées aux nouvelles routes de la soie, en sachant que tous les objectifs de cette politique chinoise ne sont pas que purement économiques et que de ce fait ils peuvent ne pas tous atteindre le niveau de rentabilité jugé souhaitable, voire présenter une rationalité économique aléatoire.

B2. Recommandation : Inciter la Chine, par le travail mené en coopération notamment dans les pays tiers, à poser des méthodologies permettant de prendre en compte les demandes des populations locales et de s’insérer dans l’ordre juridique local. Encourager la Chine à prendre en compte l’impact environnemental de ces initiatives des nouvelles routes de la soie afin que l’accord de Paris ne devienne pas une coquille vide ou qu’au lieu de diminuer la pollution, on la déplace hors de ses frontières.

B3. Recommandation : Favoriser la candidature de la Chine à l’adhésion au Club de Paris, afin que les conditions d’endettement des pays participant aux nouvelles routes de la soie soient conformes aux pratiques admises dans le cadre de l’OCDE et que le risque de surendettement, voire de faillite, soit ainsi évité.

B4. Recommandation : Par la coopération entre la banque chinoise de développement et l’AFD, favoriser le partage d’expérience et de méthode, pour tendre au rapprochement des bonnes pratiques internationales par les politiques d’aides publiques chinoises.

B5. Recommandation : Favoriser l’intermodalité et les connexions entre le réseau ferroviaire français et le réseau ferroviaire européen, en particulier par la réalisation de la liaison à très grande vitesse entre Lyon et Turin, afin que la desserte de la France s’améliore. La SNCF aurait certainement un vrai rôle à jouer dans ces problématiques, et n’a sans doute pas encore déployé toutes ses capacités dans ce domaine.

B6. Recommandation : Porter attention à la composition et à l’évolution du capital des opérateurs dont CMA CGM. Évaluer l’intérêt des prises de participation chinoise dans les infrastructures portuaires. Mener une politique de modernisation des installations portuaires favorisant l’intermodalité et l’adaptation à l’utilisation du GNL. Connaître toutes les opportunités d’implantations d’entreprises chinoises dans le cadre des nouvelles routes de la soie dans les réserves foncières dont disposent les ports français.

B7. Recommandation : Favoriser le déploiement des entreprises françaises sur le territoire chinois. Mieux sensibiliser les collectivités territoriales aux problématiques de protection des investissements stratégiques ou sensibles.

B8. Recommandation : Tirer le bilan des années d’expérience de la coopération décentralisée française en Chine. Mieux connaître les procédures et le fonctionnement des administrations et des entreprises chinoises. Disposer d’un correspondant sur place, les intermédiaires ayant souvent montré leurs limites. Dans cette perspective, la possibilité d’employer un personnel de type « volontaire international en entreprise », adapté aux besoins des collectivités territoriales, devrait être étudiée.

B9. Recommandation : Soutenir l’action de l’Union européenne en vue d’obtenir un accord global sur les investissements, la réciprocité de l’ouverture du marché chinois, et un accord sur les indications géographiques, si importante pour l’économie de nos territoires.

 

 

B10. Recommandation : Associer les entreprises et les régions à la conception puis à l’application de la feuille de route annoncée par le Président de la République pour orienter les coopérations franco-chinoises dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Favoriser la mobilité en Chine, en particulier des étudiants français, afin d’améliorer la connaissance de la culture et du marché chinois.

B11. Recommandation : Étudier les possibilités de mener des coopérations en pays tiers en Europe centrale mais aussi en Afrique de l’Ouest.

B12. Recommandation : Encourager la veille des institutions et associations juridiques françaises sur l’utilisation des concepts juridiques dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Favoriser dans le cadre des partenariats, de la plate-forme de connectivité et des coopérations en pays tiers, la précision conceptuelle dans les relations avec la Chine.

C. Recommandations d’action sectorielle ou géographique

C1. Recommandation : La France doit mettre en avant ses atouts reconnus pour réaliser des investissements rentables et sûrs au Pakistan, sans sous-évaluer le risque sécuritaire. Les domaines économiques exempts de tension politique devraient être privilégiés. L’agro-alimentaire est un secteur dans lequel des progrès essentiels pourraient être réalisés, près de 50 % des récoltes pakistanaises sont perdues par an en moyenne faute d’installations adéquates. De même, l’enseignement technique agricole pourrait être développé, dans le cadre d’une coopération franco-pakistanaise. Exemple est pris du Pakistan, où vos rapporteurs se sont déplacés, et qui a été l’un des premiers pays à connaître des réalisations tangibles et considérables des nouvelles routes de la soie. Un tel travail d’analyse et d’évaluation serait à mener systématiquement sur les pays des routes de la soie.

C2. Recommandation : Au sujet de l’exemple de Djibouti, cette partie du continent africain est devenue « un impensé de l’action extérieure de la France ». Si elle ne peut égaler la force de frappe économique et la vitesse de la Chine qui lance des projets quelques semaines après leur annonce, la France a encore d’autres atouts à Djibouti. La promotion de la francophonie, l’éducation et les formations mais aussi l’aide au développement pourraient asseoir une politique dynamique inventive. Réputée dans ces secteurs, la France pourrait proposer un partenariat pour former des jeunes Djiboutiens aux métiers de la logistique, des transports ou des finances.

C3. Recommandation : La France doit veiller à maintenir une présence de haut niveau dans les différents forums arctiques multinationaux pour porter sa position. Elle doit également favoriser les coopérations avec le Danemark, seul pays de l’Union européenne qui soit État riverain de la Méditerranée arctique et membre du Conseil.

C4. Recommandation : La France, leader de l’industrie aéronautique, a un rôle moteur à jouer dans la définition d’une politique nationale et d’une politique communautaire qui prennent en compte les récents développements des nouvelles routes de la soie dans le domaine spatial. L’Union européenne doit s’efforcer de soutenir l’augmentation des budgets publics nationaux dédiés au domaine spatial. Elle doit réformer la gouvernance spatiale européenne. Enfin, fidèle à l’esprit de la stratégie de Lisbonne, l’Union européenne doit favoriser l’innovation et la compétitivité, et encourager le développement d’un secteur privé fort en mettant en place les conditions optimales à la croissance des start-ups innovantes dans le domaine spatial.