Défense et diplomatie européennes : quand l’attente devient une errance…

Je suis intervenue en séance au Sénat hier au cours du débat préalable au Conseil européen qui se tiendra les 26 et 27 juin prochains.

J’ai souhaité évoquer deux sujets majeurs : celui de la défense européenne, et celui de la diplomatie européenne.

Le programme EDIP, présenté par la Commission en mars 2024, n’a toujours pas été adopté. Il vise à développer, au-delà des mesures d’urgence, une approche structurelle en faveur du renforcement de l’industrie de défense européenne.

J’ai demandé au Ministre de nous dire où en sont les discussions sur EDIP et si la vision portée par la France peut réussir à s’imposer dans les négociations ? Jusqu’où doit aller la clause de préférence européenne que nous avons défendue avec force dans la résolution européenne du Sénat sur ce point ?

Parce qu’ils ne sont pas nombreux les Etats-membres qui, comme la France, souhaitent des critères stricts pour l’éligibilité des entreprises et le contrôle des produits achetés, conformes à ceux du Fonds européen de défense.

Aujourd’hui 80 % des investissements des États-membres dans le domaine de la défense sont réalisés auprès de fournisseurs extérieurs à l’Union, dont 63 % venant des États-Unis.

Ainsi, nous le disons avec force : face à des moyens qui sont loin d’être illimités, chaque euro doit être pensé et dépensé au service de la sécurité des Européennes et des Européens. Notre ambition doit être la plus élevée possible. Et c’est pour cela que le taux de composants originaires de l’Union européenne ou de pays associés ne saurait être inférieur à 65% et doit tendre vers un taux minimal de 80%.  

Nous avions alerté sur l’insuffisance du montant dévolu au financement du programme jusqu’à fin 2027. Le Parlement européen propose quant à lui aussi une hausse de 1,5 milliard d’euros à 21,5 milliards d’euros.

Pour ce faire, il propose d’utiliser une partie des prêts du dispositif SAFE pour financer ces 20 milliards d’euros. J’ai demandé au Ministre comment envisager une articulation pratique sachant que les conditions d’éligibilité de ces deux programmes sont différentes.

Le premier des piliers du plan ReArm UE est une autorisation à s’endetter davantage s’il s’agit de dépenses de défense. La Commission européenne a donc appelé les États membres à activer de façon coordonnée la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance. À ce jour, 16 pays sur 27 ont officiellement demandé l’activation de cette clause. Mais pas la France.

On marche sur la tête ! Alors que cet outil nous permettrait d’améliorer nos équilibres budgétaires, vos errances de gestion vous conduisent en plus à passer à côté de ce dispositif ! Expliquez-nous alors comment l’objectif de 650 milliards d’euros annoncé par la Commission européenne peut-il alors être atteint ?

Nous le savons, l’argent est le nerf de la guerre. Et à ce titre, la proposition de la Commission sur le cadre financier pluriannuel post 2027, qu’elle présentera mi-juillet, est donc très attendue.

J’ai demandé au Ministre de nous dire quelle est la position de la France sur la place accordée à la défense dans ce cadre financier ? Des premières pistes suggèrent une intégration de la défense dans un Fonds unique de compétitivité, ou encore la levée d’un nouvel emprunt européen pour financer les efforts de sécurité et de défense. La position de la France, favorable à ce nouvel emprunt, peut-elle convaincre l’Allemagne et les pays frugaux qui y sont clairement réticents ?

Sur la diplomatie européenne dans tous ses états….

Ma stagiaire de seconde me demandait en début de semaine : « mais en fait c’est quoi la diplomatie européenne ? ». Et bien j’étais embêtée…

Alors j’ai parlé de prudence, d’équilibre, mais surtout de divisions et de limites…

La « prudence stratégique » affichée par l’Union européenne afin de limiter l’escalade régionale et de soutenir la stabilité dans une région où elle dispose de peu de leviers militaires mais encore d’un peu d’intérêts économiques et diplomatiques, c’est un beau discours. Mais c’est surtout un écran de fumée pour tenter de cacher :

  • l’absence d’unité entre ses Etats-membres
  • la faiblesse institutionnelle de sa diplomatie
  • son manque d’influence directe sur Téhéran ou Jérusalem, sans parler de Washington…
  • et finalement, à la vue des évènements de ce week-end : l’échec de sa médiation et de sa tentative de préservation du dialogue.

Faute d’une stratégie claire à long terme sur le Proche et sur le Moyen-Orient, la diplomatie européenne œuvre en réaction aux évènements. C’est malheureux. Et puis, nous avons l’habitude de l’entendre dans cet hémicycle, dans un moment de difficulté pour la sécurité d’Israël, « il est surement mieux d’attendre »…

Le Service européen pour l’action extérieure dirigé par Kaja Kallas a transmis le 20 juin aux États-membres ses conclusions sur le respect par Israël des droits de l’homme prévu par l’article 2 de l’accord d’association avec l’Union. La conclusion est claire : « sur la base des évaluations faites par des institutions internationales indépendantes (…) il y a des indications que Israël serait en violation de ses obligations en matière de droits de l’homme  » :

  • blocage des aides humanitaires à Gaza en violation du principe de l’interdiction de la punition collective ;
  • un niveau sans précédent de tués et de blessés parmi les civils ;
  • des attaques contre les installations médicales et les hôpitaux contre le principe de précaution et de proportionnalité ;
  • déplacement forcé de 90% de la population ;
  • attaques directes contre les journalistes.

Mais dans l’UE, il faut l’unanimité ou la majorité qualifiée pour passer à l’action. J’ai donc demandé au Ministre la position de la France sur la nécessité de réexaminer voire de suspendre l’accord d’association entre l’Union et Israël ? Sur la nécessité de prendre des sanctions notamment contre les ministres extrémistes du gouvernement de Nétanyahou ? « Allez-vous encore nous dire qu’il est urgent d’attendre ? »