La mission d’information du Sénat sur l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés s’est constituée le 3 mai dernier. Je suis fière d’en être Vice-présidente. Créée à l’initiative du groupe Communiste, républicain et citoyen, elle vise à examiner les conditions de mise en œuvre de l’accord passé le 18 mars dernier entre l’Union européenne et la Turquie pour endiguer l’afflux de réfugiés et de migrants de la Turquie vers la Grèce, ainsi que la position de la France à l’égard de cet accord. Pour mémoire, plus d’un million de migrants sont arrivés dans l’Union européenne par la mer en 2015, dont plus de 850 000 par la Grèce en provenance de la Turquie.
La mission d’information a entamé son cycle d’auditions. Elle a entendu :
– M. Pierre-Antoine MOLINA, directeur général des étrangers en France au Ministère de l’intérieur (le compte-rendu) ;
– M. Christophe LÉONZI, directeur-adjoint de l’Union européenne au Ministère des affaires étrangères et du développement international (le compte-rendu) ;
– M. Pascal BRICE, directeur général de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) (en commun avec les rapporteurs sur la Turquie de la commission des affaires européennes et le groupe de travail sur les migrants de la commission des affaires étrangères) (le compte-rendu) ;
– M. Philippe LÉGLISE-COSTA, secrétaire général des affaires européennes (le compte-rendu) ;
– M. Ralf GRUENERT, représentant ad interim, et Mme Céline SCHMITT, porte-parole et responsable de l’information du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) en France (le compte-rendu) ;
– M. Jean-François DUBOST, responsable du programme de protection des populations à Amnesty international France, et Mme Sylvie HOUEDENOU, responsable de la commission des personnes déracinées à Amnesty international France
– Une audition conjointe de plusieurs Organisations Non Gouvernementales (ONG) (le compte-rendu) :
– Mme Mathilde MASE, responsable du programme asile à l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) ;
– M. Gérard SADIK, coordinateur nationale à La Cimade ;
– Mme Violaine CARRÈRE, chargée d’étude du Gisti ;
– Mme Irinda RIQUELME, responsable du plaidoyer, et M. Nour ALLAZKANI, chargé de mission au Service des jésuites pour les réfugiés (JRS) ;
– M. Jean-François CORTY, directeur des opérations internationales, M. Loïc BLANCHARD, responsable du service juridique, Mme Flore GANON-LECOMTE, juriste référente aux missions France à Médecins du Monde ;
– Mmes Bénédicte JEANNEROD, directrice France, et Izza LEGHTAS, chercheuse Migrants et Europe Human Rights Watch ;
– M. Michel TUBIANA, président, et Mme Marie MARTIN, administrateur de programme migration et asile à EuroMed Rights.
– S. Exc. M. Hakki AKIL, ambassadeur de Turquie en France (le compte rendu) ;
– M. Jean-Dominique GIULIANI, président de la Fondation Robert SCHUMAN (le compte rendu).
– Mme Catherine TEITGEN-COLLY, membre de la commission nationale consultative des droits de l’homme (le compte rendu) ;
– M. David SKULI, directeur central de la police aux frontières du ministère de l’intérieur (en commun avec le groupe de travail sur les migrants de la commission des affaires étrangères) (le compte rendu).
– M. Marc PIERINI, ancien ambassadeur de l’Union européenne en Turquie, chercheur visiteur à Carnegie Europe (le compte rendu) ;
– M. Jacques TOUBON, Défenseur des droits (le compte rendu).
– Mme Dorothée SCHMID, directrice du programme « Turquie contemporaine » à l’Institut français des relations internationales (IFRI) (le compte rendu) ;
– M. Didier BILLION, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) (La Turquie dans son environnement géopolitique) (le compte rendu).
Retrouvez l’actualité de cette Mission en cliquant ici.
La mission a examiné puis voté son rapport le 12 octobre dernier. Retrouvez-en l’intégralité en cliquant ici.
Sa conclusion : Négocié dans l’urgence pour répondre à une situation de crise, l’accord du 18 mars 2016 reste contestable, notamment sur la forme. Des leçons devront sans doute être tirées des contentieux en cours, lorsque les décisions auront été rendues. Il ne saurait donc, en tant que tel, constituer un modèle susceptible d’être « dupliqué ».
S’il produit pour le moment l’effet espéré en termes de flux, il reste très fragile en raison des hypothèques qui pèsent sur sa mise en oeuvre, notamment l’engorgement du traitement des demandes d’asile dans les hotspots en Grèce et les attentes turques concernant en particulier la libéralisation des visas.
Il va pourtant permettre d’améliorer la situation des réfugiés, au plan juridique comme au plan matériel, tant en Turquie qu’en Grèce. Il ne s’agit pas d’affirmer que tous les problèmes seront résolus. Il ne s’agit pas de taire les zones d’ombre. Mais force est d’admettre quel’application de cet accord n’en est qu’à ses débuts. Un peu de temps sera sans doute nécessaire pour qu’il produise pleinement ses effets.
L’accord donne également lieu à une mobilisation inédite de l’UE pour soutenir un Etat membre, en permettant un déploiement plus large de ses agences (Frontex, EASO, Europol) et l’expérimentation d’une nouvelle méthode de coordination (à travers le SRSS). En cela, la gestion de cette crise migratoire en Grèce constitue une sorte de laboratoire préfigurant peut-être de nouvelles formes d’action de l’UE sur le terrain.
Elle conduit aussi à un renouvellement des modalités de l’action humanitaire, en Turquie, où l’enjeu est d’inventer des solutions innovantes – tel le filet de sécurité sociale d’urgence – pour venir en aide à une population réfugiée majoritairement installée hors des camps, de même qu’en Grèce, où pour la première fois un programme humanitaire impliquant le HCR est déployé sur le territoire européen.
Pour autant, cet accord ne constitue qu’une partie de la réponse à la problématique migratoire qui se pose à l`UE et qui sera l’un des grands défis qu’elle aura à affronter dans les prochaines décennies.
L’UE doit donc se doter des outils lui permettant d’anticiper et de gérer ce phénomène qui est durable et structurel. Aussi l’accord devrait-il s’intégrer dans une politique migratoire européenne cohérente, ne se limitant pas au renforcement de la protection des frontières extérieures, même si celui-ci est nécessaire, mais comportant aussi une politique partenariale ambitieuse et efficace avec les pays d’origine et de transit, incluant l’ouverture de nouvelles voies légales de migration.
Cette préoccupation doit devenir l’une des priorités de la politique étrangère de l’UE et de ses Etats membres, avec l’objectif d’oeuvrer à la résolution mais aussi à la prévention des crises générant les flux migratoires.