Le 14 janvier dernier, j’ai présenté en Commission des Affaires européennes une proposition de résolution européenne sur la politique commerciale de l’Union en matière d’économies sucrières.
Il s’agissait en effet de dénoncer les effets des accords commerciaux conclus par l’Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultramarines.
Le 4 août dernier, l’Union européenne et le Vietnam ont conclu un accord de libre-échange. Globalement, la France peut se féliciter du bon équilibre de ce texte en termes d’accès au marché, de marchés publics ou de protection des indications géographiques.
Cependant, il comporte une disposition très négative s’agissant des sucres spéciaux, produits particulièrement sensibles pour la France et ses DOM. En effet, un contingent de 20 000 tonnes de sucre a été accordé au Vietnam par la Commission, contingent incluant les sucres spéciaux, qui sont une filière vitale pour les Régions ultrapériphériques françaises.
Cette disposition de l’accord illustre de la part de la Commission une méconnaissance totale du caractère stratégique de la filière « canne » dans ces Régions françaises, voire une tactique délibérée tendant à faire de ces régions des variables d’ajustement pour la conclusion de ce type d’accords commerciaux globaux qui vont en se multipliant, et menacent notre filière.
Parallèlement à cette proposition de résolution européenne, la Délégation à l’Outre-mer du Sénat a présenté, le 10 décembre dernier, un rapport d’information sur lequel j’ai travaillé avec le sénateur Michel Magras. Nous y présentons les multiples enjeux de la filière canne à la Réunion, à la Martinique et en Guadeloupe. Vous pouvez le consulter en cliquant ici.
Le rapport relève la politique contradictoire de la Commission européenne, qui d’un côté conduit des politiques agricole et régionale ambitieuses et, de l’autre, une politique commerciale brutale, ignorant les intérêts et spécificités de régions qu’elle prétend par ailleurs promouvoir.
La Commission européenne n’a pas pris en compte le caractère sensible des sucres spéciaux, malgré les demandes réitérées du Gouvernement français en faveur de leur exclusion de l’accord ou du moins d’un contingent très réduit.
La Commission répond que le risque économique n’est pas avéré. En cas de problème, argumente-t-elle, une clause de sauvegarde permettra d’apaiser les inquiétudes. Elle considère enfin que le Vietnam ne produit pas de sucres spéciaux et que le contingent prévu de 20 000 tonnes ne fait que prendre acte du flux actuel des exportations vietnamiennes.
Cette analyse n’est pas pertinente, c’est le moins que l’on puisse dire : de tels accords créent leurs propres dynamiques, en l’espèce la capacité du Vietnam à prendre appui sur les opportunités que l’accord lui offre pour développer sa propre filière sucrière, y compris et surtout pour les sucres spéciaux.
Si la production annuelle de sucres spéciaux vietnamiens est aujourd’hui limitée dans une fourchette de 1 à 4 tonnes, le Vietnam produit 1,5 million de tonnes de sucre de canne et en est exportateur net depuis 2013. Le savoir-faire de ses producteurs, conjugué à des volumes importants, lui permettra de développer rapidement et massivement sa filière de sucres spéciaux destinés à l’export, et ce à des coûts de revient incomparablement bas.
Que représentent les sucres spéciaux pour nos DOM ? La France, grâce à ses départements ultramarins, est le seul des 28 États de l’Union européenne à produire du sucre de canne. Cette filière est une ressource essentielle pour la Réunion, la Martinique et la Guadeloupe, ainsi que pour la Guyane. Elle représente plus d’un tiers de la surface agricole utile de ces départements et près de 40 000 emplois directs, indirects et induits.
Indépendamment de l’accord avec le Vietnam, de nombreux autres accords sont en négociation ou le seront bientôt. Certains ont déjà été signés. Mon rapport écrit détaille les pays avec lesquels de telles négociations s’ouvriront, avec un impact fort sur les économies des DOM.
Nos départements d’Outre-mer peuvent-ils adapter leur compétitivité face à cette vague de concurrence qui se profile ? La réponse est non. Car pour contrer cette nouvelle donne concurrentielle, la marge d’évolution des conditions de production et de compétitivité des DOM pour les sucres spéciaux est quasi nulle, du fait de conditions de compétitivité qui les pénalisent.
Plusieurs caractéristiques placent en effet ces territoires dans une situation défavorable par rapport à leurs nombreux concurrents actuels et potentiels. D’abord le climat, qui touche des installations dont les coûts d’entretien sont très élevés et dont les manifestations extrêmes, comme les cyclones, ne sont pas rares. Ensuite, la superficie cultivable est réduite par les contraintes naturelles : outre l’insularité, les exploitations ne sont pas extensibles et le relief accidenté vient encore compliquer la donne. L’augmentation des surfaces cultivées en canne pour augmenter la productivité n’est donc pas une option envisageable.
La proposition de résolution, que vous pouvez retrouver ici, formule les préconisations suivantes :
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une cohérence de bon sens entre la politique commerciale de la Commission et ses politiques agricole et de cohésion, notamment en ce qui concerne les RUP ;
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l’aménagement de l’accord avec le Vietnam pour, au minimum, aboutir à un contingent réduit de 280 tonnes de sucres spéciaux.
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l’amélioration indispensable de l’efficacité des mécanismes de défense commerciale et de stabilisation en cas de déséquilibre prévisible ou avéré sur les marchés concernés ;
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enfin, la prise en compte systématique par la Commission des intérêts spécifiques des régions ultrapériphériques dans les négociations commerciales et une pression accrue du Gouvernement, à cette fin, sur les services de la Commission.
La commission des Affaires européennes a adopté, à l’unanimité la Proposition de résolution européenne. La Commission des Affaires économiques l’a également adoptée. Elle est ainsi devenue une résolution du Sénat adoptée le 26 janvier 2016.