
Je viens de déposer au Sénat une proposition de loi en ce sens.
S’il est un constat récurrent dans chaque épisode de gestion des cas de maladies associées à des pollutions industrielles, minières ou environnementales, chez les populations riveraines comme chez les élus des collectivités territoriales concernées, c’est bien la réactivité extrêmement variable selon les territoires et l’hétérogénéité des réponses apportées par les services de l’État face aux risques sanitaires et écologiques.
À défaut d’une procédure formalisée de co-construction, avec les associations de riverains et les élus locaux, de la réponse sanitaire aux risques d’exposition environnementale, l’évolution de la situation reste bien souvent tributaire de l’activisme et de l’engagement local des populations et plonge ces dernières dans l’incompréhension, le désarroi, pouvant même conduire à de la défiance.
À cet égard, le fait que des familles audoises aient dû d’elles-mêmes, en 2019, prendre l’initiative de demander un dépistage à leurs frais de leur imprégnation (particulièrement de leurs enfants) par l’arsenic dans la vallée de l’Orbiel est révélateur de la défaillance de l’État dans notre système de surveillance des expositions environnementales. C’est cet épisode qui a conduit à la création de la commission d’enquête du Sénat sur les pollutions industrielles et minières des sols.
Plus récemment, en Charente-Maritime dans le secteur rochelais de la plaine d’Aunis, pareillement aux familles audoises, l’association Avenir Santé Environnement a coordonné un ensemble d’analyses effectuées à leurs frais par des familles, avec le concours scientifique du CHU de Limoges, pour évaluer le niveau de pollution aux pesticides dont une partie de la population pourrait être victime.
Comment s’opère le traitement des alertes sanitaires au niveau local ? Au niveau des Agences Régionales de Santé, le traitement des alertes sanitaires est assuré par un dispositif spécifique articulé autour de cellules régionales de veille, d’alerte et de gestion sanitaire (CRVAGS), qui se déclinent en cellules départementales. Il revient ensuite, au niveau national, à la sous-direction de la veille et de la sécurité sanitaire de la direction générale de la santé, de recevoir et de traiter les signaux. Si cette organisation est jugée « robuste »1(*) par la direction générale de la santé, l’absence de transparence sur le circuit décisionnel présidant au lancement d’un suivi sanitaire (dépistage, études d’imprégnation, études épidémiologiques…) suscite bien souvent la perplexité, voire la défiance des responsables locaux et des associations de riverains au sein des commissions de suivi de site.
Par ailleurs, les ARS, aujourd’hui très largement focalisées sur l’organisation territoriale des soins, ne peuvent consacrer une expertise réellement approfondie à la prise en charge des situations sanitaires liées à des expositions environnementales. Si certaines ont lancé des initiatives prometteuses sur l’évaluation et la prévention des effets sur la santé de l’exposition à certains polluants, comme l’ARS de Nouvelle-Aquitaine pour les perturbateurs endocriniens, cette expertise reste bien souvent limitée à certains types de substances et s’avère inégale entre ARS.
Dans ces conditions, il est indispensable de créer un guichet unique territorial d’analyse et de traitement des situations d’expositions environnementales présentant un danger pour la santé, en mettant en place des observatoires régionaux de santé environnementale qui constitueraient un premier échelon territorial de proximité pour le traitement d’alertes ou signalements sanitaires liés à des expositions environnementales de toute nature et pour tout milieu (air, eau, sol, alimentation…).
Ces centres pourraient, à ce titre, être saisis d’alertes ou de signalements tant par le préfet, les directeurs généraux d’ARS et les directeurs des délégations départementales d’ARS, que par des élus locaux ou encore des associations de riverains.
Ces centres seraient constitués, dans chaque région, sous la forme d’un réseau territorial d’experts en santé environnementale et en toxicovigilance dont :
– les organismes chargés de la toxicovigilance territorialement compétents, dont les centres antipoison2(*) des centres hospitaliers universitaires (CHU) régionaux et les établissements de santé de référence en toxicovigilance figurant sur une liste établie par le ministre chargé de la santé ;
– les centres régionaux des pathologies professionnelles et environnementales, dont l’existence a été formalisée par un décret du 26 novembre 20193(*), implantés dans chaque région dans un établissement public de santé désigné par le directeur général de l’ARS ;
– les CIRe de Santé publique France ;
– des professionnels de santé référents en toxicovigilance et en suivi des expositions environnementales, le cas échéant désignés par les sociétés savantes4(*) pertinentes.
Les auteurs de cette proposition de loi estiment que la protection des populations, de leur santé et de leur qualité de vie, de même que la préservation de l’environnement, exigent la définition d’un cadre transparent de veille et de gestion des risques sanitaires, fondé sur une procédure de remontée réactive des informations du local vers le national et de traitement homogène et proportionné des situations sur l’ensemble du territoire, afin d’éviter toute disparité dans l’instruction d’alertes bien souvent émises par des associations ou des élus locaux.
Reprenant le dispositif prévu à l’article 16 de la proposition de loi de Mme Gisèle JOURDA visant à refonder la politique de gestion et de protection des sites et sols pollués en France, cosignée par près de 140 sénatrices et sénateurs, ce texte fait de la réunion des conditions d’une gestion réactive et transparente des risques sanitaires une priorité.
C’est ainsi que cette nouvelle proposition de loi consacre, dans son article unique, la création d’observatoires régionaux de santé environnementale chargés d’examiner les demandes d’évaluation de l’impact sanitaire d’expositions environnementales sur saisine du préfet, du directeur général de l’ARS ou d’un directeur de délégation départementale de l’ARS, d’élus locaux ou d’associations de riverains, conformément à un référentiel national de traitement des alertes sanitaires liées à des expositions environnementales.
* 1 Audition par la commission d’enquête de représentants de la direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la santé du 2 juin 2020.
* 2 Mentionnés à l’article L. 6141-4 du code de la santé publique.
* 3 Décret n° 2019-1233 du 26 novembre 2019 relatif aux centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales.
* 4 Dans le domaine de la toxicologie, peuvent notamment être mentionnées : la société de toxicologie clinique, la société française de toxicologie analytique, la société française de toxicologie génétique…