Retour sur… ma mission d’observation de l’élection présidentielle en Moldavie

J’ai souhaité effectuer ma première mission d’observation électorale au titre de l’AP-OSCE en Moldavie, pour le premier tour de l’élection présidentielle, le 20 octobre dernier.

C’est sa trajectoire européenne qui a déterminé la politique du pays depuis la première élection de Maïa Sandu à la présidence de la République de Moldavie en novembre 2020 et plus encore depuis que le statut de candidat lui a été reconnu en juin 2023 et que l’ouverture de négociations a été décidée par le Conseil européen de décembre dernier.

C’est un défi considérable pour ce pays niché entre la Roumanie et l’Ukraine, au territoire morcelé, avec une région autonome au Sud, la Gagaouzie, et un territoire autoproclamé « indépendant » à la suite du conflit gelé de 1992 qui avait suivi l’indépendance de la Moldavie en 1991, la Transnistrie, où stationne l’armée russe et où se trouvent d’importants et anciens dépôts de munitions. La population, vieillissante en raison d’un fort exode des Moldaves en âge de travailler, est d’environ deux millions et demi de personnes, dont quelque 350 000 en Transnistrie. Rappelons que plus de la moitié de la population active détient déjà un passeport roumain, donc va et vient librement dans l’UE, notamment pour travailler, produisant ainsi près du quart du PIB de ce pays

La Moldavie a un régime parlementaire. C’est le Premier ministre qui dirige le gouvernement. La présidente, cheffe de l’Etat, convoque et dissout le Parlement, nomme le Premier ministre, pilote la politque étrangère et  est cheffe des armées, une armée de dimension modeste dans ce pays neutre, longtemps équipée de matériels soviétiques assez vétuses, mais de plus en plus soutenue dans sa modernisation par la Roumanie et d’autres pays de l’UE et de l’OTAN.

Onze candidats étaient enregistrés pour le premier tour, un nombre record, malgré les conditions de présentation strictes posées par le code électoral moldave, révisé à de multiples reprises au cours des deux dernières années. Outre Maia Sandu, deux autres principaux candidats étaient très engagés dans la campagne et se distinguaient par leur notoriété.

Alexandr Stoianoglo, opposé au référendum qui était associé à l’élection présidentielle -j’y reviendrai-, s’est déclaré comme indépendant mais était soutenu par le parti socialiste moldave. Originaire de Gagaouzie, l’ancien parlementaire et procureur général avait dû démissionner en 2021 ; la Cour européenne des droits de l’homme a depuis reconnu, en 2023, qu’il n’avait pas eu droit alors à un procès équitable. Il a axé sa campagne sur l’économie, la démographie, la neutralité et le sort de la Transnistrie. Il a obtenu 25,95 % des voix au premier tour, 44,65 % au second tour.

Renato Usati, homme d’affaires aux multiples antécédents judiciaires mais toujours relaxé, ancien maire de Balti, a fondé et préside « Notre Parti » – qui a remporté 17 mairies lors des élections locales de novembre 2023, ce qui fut la marque d’une certaine usure du pouvoir en place. Il a fait campagne pour un régime présidentiel, pour l’indexation des retraites sur l’inflation et pour les « valeurs familiales ». Opposé à la tenue du référendum, il n’avait pas donné de consignes de vote pour celui-ci. Il a obtenu 13,79 % des voix le 20 octobre.

Parmi les autres candidats, une seule, Irina Vlah, ancienne gouverneure de Gagaouzie, faisant campagne contre Mme Sandu et pour le « non », a obtenu un peu plus de 5 % des voix. La plupart d’entre eux n’ont pas donné de consignes de vote en faveur de Mme Sandu au second tour.

La participation fut de 51,68 % au premier tour, 54,34 % au second tour.

Maia Sandu, après avoir obtenu  42,49 % des voix au premier tour, a nettement fait la différence au second tour, avec 55,35 %, malgré de faibles réserves de voix. Sa popularité personnelle a donc joué, malgré l’usure d’un premier mandat.  Elle incarne l’enjeu européen qui était au coeur de cette élection, alors que la guerre continue à faire rage en Ukraine, plus de mille jours après son déclenchement et que, malgré le très fort soutien européen, la population subit les conséquences de cette guerre toute proche, la frontière avec l’Ukraine étant longue de près de mille kilomètres : conséquences économiques avec une forte inflation, due à une forte dépendance énergétique au gaz russe, qui est en train d’être fortement corrigée ; conséquences sociales et humaines,  plus d’un million d’Ukrainiens ayant transité par le pays, mais plus de 100 000 s’y étant installés. La frontière ukrainienne est à moins de 50 km de Chisinau et Odessa à moins de 200 km.

La Moldavie est la cible privilégiée de multiples attaques hybrides. Selon les responsables entendus dans les briefings auxquels j’ai participé la veille et l’avant-veille du scrutin, ces attaques ont fortement interféré avec la campagne électorale, dans les mois et semaines précédant le premier tour de l’élection, prenant la forme de diverses tentatives de manipulations et d’influences, d’achats massifs de voix, de campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, etc.

Depuis plus d’un an, les autorités moldaves et les organismes de régulation se sont donné des moyens de lutter contre ces phénomènes. Une douzaine de chaînes de télévision ont été fermées, y compris celle d’Ilan Schor, oligarque puissant et opposé au rapprochement de la Moldavie avec l’Union européenne. Mais les réseaux sociaux ont pris le relai et c’est sur Instagram, Telegram et Tik tok que se sont déroulées l’essentiel de ces campagnes de désinformation.   

Les enquêtes déclenchées par les autorités administratives et judiciaires moldaves sur ces faits, jusqu’à la veille du scrutin, et largement relayées dans les médias pro gouvernementaux, se sont poursuivies entre les deux tours. Le jour même de notre arrivée, le 17 octobre, les chefs de la police et du service de renseignement annonçaient plus d’une centaine d’arrestations et de perquisitions destinées à démanteler un réseau d’agitateurs formés par des services ou organismes paramilitaires russes apparemment recrutés via des réseaux sociaux (notamment Telegram) et dotés de matériels divers y compris d’armes légères. Selon Maia Sandu, ce réseau mobiliserait près de 300 000 personnes, ce qui est difficile à vérifier ; d’autres sources évoquent la moitié de ce nombre, ce qui paraît déjà beaucoup, ne serait-ce qu’au regard des capacités administratives d’un pays où le ministère de l’intérieur et les forces de l’ordre emploient au total 16 000 personnes. Selon les mêmes sources, le montant total consacré à la corruption électorale depuis deux ans se chiffrerait en centaines de millions d’euros, assertion tout aussi difficile à prouver. Il est vrai que l’oligarque Ilan Schor, désormais établi en Russie, serait à l’origine de la disparition d’un millard de dollars du système bancaire moldave et que son influence semble demeurer considérable dans le pays. Selon un communiqué et une vidéo publiés par la police le 26 octobre, celle-ci disposerait de preuves de virements bancaires pour un total de 39 millions de dollars depuis des comptes russes sur des comptes moldaves appartenant à la galaxie de Schor avant le premier tour. Dans le mois précédant l’élection, 15 millions de dollars de financements illicites auraient été saisis par la police.

La Mission d’observation électorale de l’OSCE était dirigée par la mission du Bureau international de la démocratie et des droits de l’homme, sous la responsabilité de Mme Ursula Gacek, ambassadrice polonaise, à la tête d’une équipe de 13 experts et de 26 observateurs dits de long terme, sur place depuis septembre pour analyser la campagne et l’organisation électorales, et de notre collègue parlementaire tchèque Lucie Potuckova, présidente de la 3e commission de l’AP-OSCE, coordinatrice spéciale de près de 200 observateurs de court terme de 31 pays membres : parmi ces observateurs de court terme, on comptait une vingtaine de parlementaires, neuf de l’AP-OSCE, neuf de l’APCE et trois du Parlement européen. L’ensemble de ces observateurs a pu couvrir près de 900 bureaux de vote, soit près de la moitié du total dans le pays, plusieurs dizaines de bureaux de vote ayant été ouverts à l’étranger, essentiellement dans l’UE et en Amérique du Nord, mais aussi quatre en Russie. Ma collègue de l’AP-OSCE Anna Pic, députée de la Manche, et moi étions les seules parlementaires françaises participant à cette mission.

J’ai souhaité observer des bureaux de vote très divers, le jour du scrutin, depuis leur installation avant leur ouverture à 8h jusqu’au dépouillement après leur fermeture à 20h ; dans la capitale, mais aussi dans des zones très rurales. Et même le long des méandres du Dniestr, dans des bureaux ouverts à destination des Moldaves résidant en Transnistrie, où beaucoup de bulletins sont en russe. [Confidentiel – Hors compte rendu : Franchir un pont sur ce fleuve emblématique qui prend sa source dans les Carpates et  se jette dans la Mer Noire, et constater que ce pont est contrôlé par l’armée russe à l’entrée et par la douane moldave à la sortie, c’est prendre pleinement conscience de la singularité de la situation de ce pays, qui n’est en fait similaire ni à celle de l’Ukraine, ni à celle de la Géorgie.]

J’ai tenu aussi à aller observer des bureaux de vote de la ville d’Orhei. Située à une cinquantaine de kilomètres au Nord-Est de Chisinau, et à une dizaine de kilomètres du Dniestr, elle demeure le fief d’Ilan Schor. Quatre employés municipaux avaient été arrêtés une semaine avant notre arrivée. Orhei se veut un « modèle » de ce que Schor prétend vouloir faire pour son pays : la ville est dotée d’un parc d’attraction gratuit – « Orheiland » – ; le mobilier urbain, les rues, les trottoirs, l’éclairage publics paraissent flambant neufs, les bâtiments publics et privés sont assez cossus. Le transport public serait gratuit aux heures de pointe, l’eau de la ville également. Des cérémonies sont régulièrement organisées pour des remises de prix en espèces. Les retraités de la ville reçoivent des primes mensuelles d’une centaine d’euros d’une banque russe. Le maire a inauguré cette année au printemps un magasin d’une chaîne locale, dénommé « MeriSchor » qui offre des prix très avantageux pour toutes sortes de produits alimentaires et de consommation courante.

Un bureau, en plein centre de la ville, se trouvait dans la vaste salle d’une école de danse. Il présentait la particularité de laisser une large zone de circulation derrière les « isoloirs » qui ne sont pas fermés. Se tenaient là, dans le dos ou à proximité des votants et avec une vue possible sur leurs bulletins, plusieurs personnes, munies de téléphones portables, soit membres du bureau de vote, soit « observateurs » de partis politiques. J’ai mentionné cette irrégularité – la seule qui m’ait semblé particulièrement notable – dans mon rapport remis à l’OSCE à Chisinau au retour nocturne de cette longue journée électorale.

Le mandat de la mission d’observation ne portait que sur l’élection présidentielle. Mais le scrutin du premier tour associait à l’élection présidentielle et dans les mêmes bureaux, un référendum constitutionnel. Rien n’obligeait la présidente Sandu à procéder de la sorte et le choix de coupler les deux votes est entièrement le sien. Il a donné lieu à de nombreuses critiques, y compris au sein des partisans de l’adhésion à l’UE. Le code électoral moldave – particulièrement touffu – a dû être modifié au printemps avant le scrutin pour rendre possible cette concomitance à l’automne, auparavant proscrite. Après plusieurs contestations et recours, la Cour constitutionnelle a validé, en avril 2024, les modifications législatives. Le décret de convocation pour le référendum du 20 octobre, a été pris sur l’initative de 46 parlementaires du groupe affilié au parti de Maia Sandu – sur 101 membres du Parlement au total –, soit plus que le seuil d’un tiers requis par la Constitution.

Le référendum proposait d’approuver par un seul oui ou de rejeter par un seul non deux modifications constitutionnelles. La première ajoutait deux paragraphes au Préambule de la Constitution. Le premier « réaffirmant l’identité européenne du peuple » moldave et « l’irréversibilité du chemin européen » de la Moldavie. Le second pour affirmer que « l’intégration à l’UE est un objectif stratégique » de la république moldave.

La seconde modification ajoutait une section nouvelle composée de deux articles. Le premier pour établir que les accords d’adhésion  devaient être ratifiés par une loi organique ; le second pour affirmer la primauté du droit de l’Union découlant de ces accords sur le droit interne.

Le code électoral proscrivait de faire campagne pour le boycott du référendum. Les partis enregistrés devaient faire campagne pour le oui ou pour le non. De fait, la campagne fut peu active. Même dans la capitale, peu d’affiches, peu de meetings, pas de débats télévisés. La participation a été un peu moindre que pour l’élection, mais pas significativement, à peine un point de moins. En revanche, le résultat fut acquis de justesse, au bout d’une longue nuit de décompte, où les votes des Moldaves de l’étranger semblent avoir beaucoup compté : moins de 12000 voix d’avance, pour plus d’un million et demi de votants. Cela fait tout de même une majorité de 50,38 % et en démocratie, seul le résultat compte. Mais cela exprime une adhésion mesurée à l’Europe, que nous avions ressentie lors de nos missions de l’an dernier.

Toute la politique de Maïa Sandu, axée sur l’intégration européenne de son pays, consiste à convaincre son peuple, ses élites et tous les partenaires européens et internationaux, que le défi ambitieux de l’adhésion sera relevé avec succès, avec un objectif affiché pour 2030.  Depuis son élection au deuxième tour, le 6 novembre, seul un remaniement gouvernemental d’assez faible ampleur – rotation entre deux ministres et nomination d’un nouveau ministre de l’agriculture, auparavant président du syndicat des producteurs de lait – est intervenu la semaine dernière. La ligne européenne de la présidente élue semble donc demeurer tout à fait inchangée.

Il faudra aussi compter avec les résultats du second tour de l’élection présidentielle roumaine, qui aura lieu le 8 décembre, et des élections législatives qui auront lieu dimanche prochain, 1er décembre, dans ce pays si influent en Moldavie. Le premier tour a en effet propulsé en tête un candidat inattendu, M. Calin Georgescu, dont le profil idéologique parait proche de celui de M. Orban ou de M. Trump, y compris en politique européenne et internationale, et qui a recueilli près de 23 % des voix. Il a fait campagne « pour la paix maintenant ». Il affrontera au second tour une candidate libérale, Mme Elena-Valeria Lasconi, qui plaide pour le maintien du soutien à l’Ukraine, devançant de peu le Premier ministre sortant, Marcel Ciolacu, du Parti social-démocrate, qui était donné gagnant par les sondages et les observateurs. Un autre candidat d’extrême droite, en 4e place, a obtenu près de 14 %.  Ce résultat préliminaire risque de bouleverser le système politique roumain, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la Moldavie.