Le 6 juin dernier, la Commission des Affaires étrangères du Sénat a auditionné Frédéric Desagneaux, envoyé spécial pour la Libye au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation au Libye. Retrouvez l’intégralité de cette audition en cliquant ici.
La situation intérieure en Libye demeure chaotique. Depuis la révolution de 2011 qui a renversé le régime autoritaire de Kadhafi, la plus grande confusion règne dans sa gouvernance : deux assemblées parlementaires, issues de deux élections successives, l’une à Tobrouk, l’une à Tripoli se disputent le pouvoir et le gouvernement d’entente nationale, issu des accords de Skhirat en 2015, soutenu par la communauté internationale et dirigé par M. Al-Sarraj n’a pas été investi et ne peut exercer pleinement sa souveraineté. Dans l’est du pays, le Maréchal Haftar a réussi à fédérer des forces armées pour prendre progressivement le contrôle de la Cyrénaïque, avec le soutien militaire de l’Égypte et des Émirats arabes unis, et y assure une certaine stabilité. Dans de nombreuses villes et parties du territoire, à l’Ouest et au Sud, le pouvoir est tenu par des milices locales.
La situation économique de la Libye s’est dégradée. La production de pétrole a repris et atteint désormais 70 % de son potentiel. L’affaissement du cours du dinar sur le marché noir a créé une crise de liquidité et un appauvrissement général de la population.
Si le niveau d’affrontement armé entre ces divers groupes est de faible intensité, cette situation génère des risques importants y compris pour l’environnement régional de la Libye. La menace d’implantation de groupes terroristes (Daech, Al Qaeda) semble amoindrie après la reprise de Bengazi et de Syrte, mais reste préoccupante pour les pays voisins comme l’Égypte ou la Tunisie, mais aussi pour les pays du Sahel.
Les migrations se développent vers la Méditerranée centrale, dans des conditions humainement terrifiantes. La conjugaison des accords passés par l’Italie avec certains groupes locaux, de la mission Eunavfor Sophia, et du travail en amont sur les pays d’origine et de transit a permis, depuis l’été 2017, de limiter les traversées, mais la pression demeure.
Cette instabilité crée un risque d’extension par procuration des conflits structurels au sein du monde arabo-musulman entre les opposants (Émirats, Arabie Saoudite, Égypte) et partisans (Qatar et Turquie) de l’islam politique.
La communauté internationale essaie laborieusement, sous la houlette des Nations unies, de faire progresser la réconciliation. Son représentant spécial, M. Ghassan Salamé, depuis le mois de septembre dernier, implique toutes les parties prenantes, mais dénonce régulièrement les partisans du statu quo, bénéficiaires de cette instabilité.
La réunion, la semaine dernière, d’une conférence à Paris a permis de faire prendre l’engagement aux principaux dirigeants libyens devant la communauté internationale de s’acheminer d’ici la fin de l’année vers de nouvelles élections.
Dans ce contexte, quelle analyse de la situation et du processus de réconciliation peut-on faire ? Que représente l’accord de Paris en tant qu’étape importante de ce processus, et comment la France et la communauté internationale comptent maintenant agir afin que les acteurs locaux en rendent effectives les dispositions ?
En décembre 2017 à Hammamet en Tunisie, 94 maires libyens se réunissaient pour tenter de peser sur le scénario d’une réconciliation politique en Libye. Ce rassemblement de maires libyens – représentant 90 % de l’ensemble des municipalités du pays – est l’une des rares manifestations transcendant les fractures locales.
Les municipalités, institutions qui constituent les seules structures fonctionnelles dans un pays déchiré entre deux gouvernements rivaux – ceux d’Al-Beïda à l’est et de Tripoli à l’ouest –, ont toujours été considérées comme un point d’appui potentiel dans la recherche d’un règlement global.
L’un des prédécesseurs de M. Salamé à la tête de la mission libyenne des Nations unies, Bernardino Leon, avait déjà tenté d’activer ce réseau. La tentative n’avait pas été très concluante. La réunion de Hammamet a toutefois inauguré une approche différente en raison de sa très large représentativité. Les maires sont venus de toute la Libye et se reconnaissent dans le gouvernement de Faïez Sarraj à Tripoli ou dans celui d’Al-Beïda soutenu par le maréchal Haftar, chef en titre de l’Armée nationale libyenne (ANL) et homme fort de la Cyrénaïque (est). Une rencontre de cette ampleur est sans précédent.
L’initiative, organisée grâce à la médiation de l’ONG suisse Centre pour le dialogue humanitaire, visait surtout à débattre des questions de gouvernance locale, notamment la nécessité de fournir des services publics (eau, électricité, santé…) propres à soulager les difficultés quotidiennes de la population. La portée de la réunion était pourtant clairement politique. Dans une déclaration finale, les maires libyens ont affirmé leur « détermination » à faire sortir leur pays de son état actuel « de division et de désintégration ». Ils ont proposé de mettre en place un réseau de « comités de réconciliation » sous les auspices des municipalités. Enfin ils ont appelé la communauté internationale à les « intégrer » dans tout processus de règlement global.
Cette réunion peut-elle, a posteriori, être considérée comme une première pierre de l’accord du 29 mai ? Malgré leurs divisions politiques, les municipalités ont de bonnes relations entre elles. Les organisateurs de la réunion de Hammamet espéraient jouer sur ces solidarités municipales autour des préoccupations communes de gouvernance locale pour contourner l’inlassable querelle de légitimité opposant les deux gouvernements de l’est et de l’ouest. Le pari d’Hammamet a-t-il réussi ?
Qu’en est-il désormais de l’activation de ce réseau, de ce « front municipal » ? Ont-ils été intégrer dans le processus actuel de règlement global ?
J’ai donc demandé à Monsieur Desagneux où en était cette initiative compte-tenu de la volonté des municipalités, seuls points d’appui que nous avons.