Déchets dans les Outre-mer : nous donnons l’alerte.

Après plus de six mois de travaux, trois déplacements à La Réunion, Mayotte et Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, et des dizaines de personnes auditionnées, nous avons constaté le retard majeur des outre-mer en matière de gestion des déchets. Ce rapport, intitulé « Les déchets dans les Outre-mer : la côte d’alerte », nous l’avons présenté ce matin, avec ma collègue sénatrice Viviane Mallet, devant la Délégation Outre-mer. Il a été adopté à l’unanimité.

Cette situation de retard place certains territoires en urgence sanitaire et environnementale. La cote d’alerte est dépassée.

Des plans de rattrapage exceptionnels, voire des plans Marshall pour la Guyane et Mayotte, sont indispensables. Des financements et une gouvernance consolidés permettront de prendre le virage d’une économie circulaire réaliste et adaptéeaux contraintes propres des territoires ultramarins.

Les outre‑mer français accusent des lacunes et des retards majeurs en matière de gestion des déchets. Les départements et régions d’outre‑mer (DROM) et collectivités d’outre-mer (COM) sont dans des situations semblables.

Quelques indicateurs rendent compte de ce décalage complet : taux d’enfouissement écrasant, taux de valorisation faible, valorisation énergétique quasi nulle.

Ces données restent imprécises. Des gisements importants échappent aux flux de collecte, en particulier les déchets des quartiers informels, des dépôts sauvages ou des décharges illégales.

De manière générale, les outre-mer souffrent d’un retard massif d’équipements. Hormis à La Réunion, dans les quatre autres DROM, le nombre de déchetteries par habitant est de 2 à 9 fois plus faible que dans l’Hexagone. À Mayotte, la première devrait ouvrir en 2023.

Néanmoins, la situation de chaque territoire est fortement différenciée :

‑ Mayotte et la Guyanedoivent pratiquement tout construire pour une population qui explose ;

‑ la Guadeloupe, la Martinique et la Polynésiesont sur une ligne de crête avec des enjeux de gouvernance, de financement et d’investissement ;

‑ La Réunion et la Nouvelle-Calédoniesont sur des dynamiques positives, malgré leur retard ;

‑ Saint-Barthélemyvalorise la quasi‑intégralité de ses déchets, avec un modèle adapté, mais doit prendre le virage de la prévention ;

‑ Saint-Pierre-et-Miquelon, modèle de la collecte et de la prévention, doit fermer ses décharges littorales illégales qui brûlent à ciel ouvert ;

‑ Wallis-et-Futunarésorbe ses dépotoirs et la collecte sélective prend un nouvel essor.

Tous les types de déchets sont concernés par ce retard. BTP, VHU… Ainsi, seul un tiers du stock historique de VHU abandonnés, estimé à 65.000 en 2015, aurait été résorbé à ce jour. Mayotte et la Guyane ne comptent chacun qu’un centre VHU agréé.

La collecte déficiente, en particulier dans les quartiers informels, le fléau des dépôts sauvageset le poison lent des anciennes décharges illégalessont autant de dangers pour des territoires fragilisées où des populations n’ont pas toujours accès à l’eau potable.

À Mayotte et en Guyane, on observe un taux de prévalence de la leptospirose 70 fois supérieur au taux national.
À La Réunion, des cas de plombémie et de saturnisme infantile ont été observés.

La mission a mis en évidence l’urgence sanitaireà laquelle doivent faire face ces territoires, et tout particulièrement Mayotte et la Guyane. Les maladies favorisées par cette situation sont en particulier la dengue, l’hépatite A, la typhoïde et la leptospirose.

L’urgence environnementale est forte. Des mangroves étouffées, un cadre de vie dégradé, des sols pollués, alors que les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française.

Les causes sont identifiées :

‑ Des financements insuffisantset une taxe générale sur les activités polluantes(TGAP) qui asphyxie les budgets de fonctionnement des EPCI ;

‑ Une taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) qui couvrent en moyenne 80% des dépenses du service public des déchets, avec des écarts de 15 à 100% selon les communes, et de plus en plus de non-contributeursdans les quartiers informels ;

‑ Des éco-organismes discrets, voire absents, qui ont longtemps tardé à s’implanter dans les outre-mer et qui commencent seulement à rattraper leur retard ;

‑ Des filières locales de recyclage très limitéesen raison de l’étroitesse des marchés ;

‑ Une préventionquasi-inexistante ;

‑ Une gouvernance localepas toujours adaptée, avec trop d’acteurs ;

‑ Une ingénieriesouvent faible ;

‑ Des exportations de déchets, notamment dangereux, de plus en plus compliquées.

LES 10 PRINCIPALES PROPOSITIONS

Une gouvernance à simplifier

– Vers un opérateur unique par territoireen charge du traitement des déchets ménagers

– Dans chaque région, faire de la commission consultative d’élaboration et de suivi (CCES) du plan régional de prévention et de gestion des déchets, une véritable instance de coordination et de pilotage

Financement : réinjecter près de 80 millions d’euros par an

– Des plans de rattrapage exceptionnels, voire des plans Marshall pour Mayotte et la Guyane : débloquer au minimum 250 millions d’euros sur 5 anspour réaliser les équipements prioritaires et structurants, en plus des aides actuelles de l’Etat

– Exonération de TGAPpendant 5, 7 ou 10 ans, soit un gain annuel pour les dépenses de fonctionnement entre 17 et 30 millions par an

Filières REP : vers des obligations de résultat

– Expérimenter outre‑mer un mécanisme incitatif de pénalités pour les éco‑organismesn’atteignant pas des objectifs chiffrés par territoire

– Abaisser à une tonne, au lieu de 100, le seuil à partir duquel le coût du nettoiement d’un dépôt sauvage est pris en charge par les éco‑organismes

La collecte : innover pour aller chercher les gisements de déchets

– Développer les dispositifs de gratification directe du tripour encourager la collecte sélective dans les zones les plus défavorisées ou isolées

– Habiliter les DROM à adopter leurs propres normesen matière d’interdiction de mise sur le marché, de consigne ou de réemploi

Le traitement : priorité aux filieres locales d’économie circulaire et soutien à la valorisation énergétique

– Faire application de l’article 349 du TFUE pour obtenir l’adaptation du règlement européen sur les transferts de déchets, en cours de révision, aux contraintes particulières des outre‑mer pour leur permettre de développer des stratégies régionales et augmenter l’aide au fretdans l’environnement régional

– Soutenir la valorisation énergétique dans les outre‑mer, notamment en obtenant de la commission de régulation de l’énergie (CRE) un cadre clair, pérenne et favorable au prix de rachat de l’électricité ainsi produite

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