Les conséquences du Brexit sur la Défense européenne : militer pour une Europe puissante.

Que signifie concrètement la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne dans le domaine de la défense ?

Membre permanent, comme nous, du Conseil de sécurité de l’ONU, appartenant à l’OTAN, détenteur de la puissance nucléaire en Europe, le Royaume-Uni consacre déjà 2 % de son budget aux dépenses de défense. Ses dépenses d’investissement sont équivalentes aux nôtres, soient près de 11 milliards d’euros. Nos deux pays conservent des bases industrielles et technologiques de défense majeures. Cela se traduit par une relation fiable : les réponses britanniques ne se sont d’ailleurs pas faites attendre lorsque nous avons fait appel à la solidarité européenne dans le cadre de l’article 42-7 du TUE. Cela favorise aussi les coopérations stratégiques, opérationnelles et industrielles.

Nous le savons, le traité de Lancaster House a vocation à prospérer, nos gouvernements l’ont rappelé à de nombreuses reprises depuis le 23 juin. Toutefois nous perdons au sein de l’Union un pays qui partage notre expérience stratégique et opérationnelle, qui dispose d’une armée réellement engagée sur de nombreux théâtres d’opérations extérieures, bref un acteur majeur de la défense en Europe.

Parallèlement, il importe de considérer les répercussions des résultats des élections américaines sur la défense européenne. Il semble que le futur président Trump serait finalement moins hostile à l’OTAN que sa campagne électorale ne le laissait craindre. Toutefois une réelle incertitude pèse sur le rôle que les États-Unis joueront désormais sur l’échiquier international et sur la place que l’Europe occupera dans la liste de leurs priorités stratégiques. Dans ce contexte, les pays appartenant à l’Union européenne et membres de l’OTAN1 semblent partagés entre deux options :

  • la première consiste à rester sous le « parapluie » américain en renonçant à toute autonomie par rapport à l’OTAN, voire en renonçant à développer toute capacité de défense supplémentaire, sorte de tentative désespérée pour contraindre l’allié américain à tenir encore le rôle qu’il semble vouloir délaisser.

  • la seconde option est de répondre au désir exprimé par notre allié américain d’un meilleur partage de la charge économique que représente la défense de l’Europe.

    Quelles propositions présentons-nous alors pour faire de l’Europe une Europe puissante?

  1. Définir et exprimer une réelle volonté politique fondée sur une vision stratégique autonome de l’Union européenne, partagée entre États membres :

  • s’appuyer sur la stratégie pour la politique extérieure et de sécurité européenne proposée par la Haute Commissaire et entérinée par le Conseil européen ;

  • élaborer un « plan de mise en œuvre » ambitieux : une « revue stratégique européenne » ;

  • établir une vision réaliste des relations avec la Russie, dans le respect du droit international ;

  • préciser les enjeux et les priorités de la relation UE/OTAN.

  1. Ne pas négliger que la défense reste essentiellement une politique intergouvernementale :

  • ne pas laisser Grande Bretagne en dehors de la démarche européenne de défense. Mettre en place un « Lancaster House élargi », cadre intergouvernemental multilatéral de concertation et d’actions dans le domaine de la défense;

  • mettre en place une « revue annuelle de défense coordonnée », dialogue volontaire de planification des budgets et des capacités de défense ;

  • clarifier et renforcer la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense en favorisant un dialogue permanent ;

  • renforcer les outils européens pour harmoniser les politiques d’exportation d’armes hors UE et mettre à jour la législation européenne visant la passation des marchés de défense et la circulation intra-européenne des produits liés à la défense (directives de 2009).

  1. Tirer pleinement parti des possibilités juridiques ouvertes par le traité de Lisbonne :

  • établir un Conseil européen de sécurité et de défense ;

  • institutionnaliser un Conseil des ministres de la défense, chargé notamment de préparer la réunion annuelle du Conseil européen de sécurité et de défense pour l’évaluer des menaces, de proposer les impulsions politiques nécessaires pour favoriser l’émergence d’un marché et d’une base industrielle européens de défense ;

  • développer les coopérations structurées permanentes dans tous les domaines où l’outil est efficace ;

  • engager dans les opérations militaires PSDC des groupements tactiques de l’Union européenne (GTUE) ; impliquer davantage le corps européen ;

  • mettre en œuvre le fonds de lancement des opérations militaires PSDC.

  1. Renforcer les outils de cohérence opérationnelle européenne existants ; Développer les capacités européennes de financement de la défense

  • créer une structure permanente de planification, de commandement et de conduite des opérations militaires PSDC ;

  • développer le financement européen des opérations de stabilisation et de formation des secteurs de la sécurité des pays en sortie de crise (instrument de stabilité) ;

  • réformer le mécanisme de financement des opérations militaires de la PSDC (Athéna) en augmentant la part européenne ;

  • initier et amplifier les financements européens pour la recherche de défense et le développement de capacités communes via un Fonds européen de la défense ;

  • augmenter les ressources et les responsabilités de l’Agence européenne de défense comme outil de développement des programmes d’armement européen et de définition des normes applicables aux équipements ;

  • inciter la BEI à participer à des financements de défense, en particulier en faveur des PME.

Une large part de ces pistes s’inspire de la proposition de résolution européenne que le Sénat a adoptée en juin dernier, invitant à refonder la PSDC. Ces pistes ont toutes en commun la recherche de l’autonomie stratégique de l’Union, qui justifie chacune d’entre elles.

La sécurité et la défense sont sans doute parmi les rares domaines où les populations de l’Union sont le plus convaincues qu’on ne peut agir efficacement qu’ensemble et non pas isolément. Dans un climat d’euroscepticisme général, la sécurité et la défense sont centrales dans la valeur ajoutée européenne. Cela étant, la PSDC, c’est l’action de l’Union, hors de ses frontières, pour prévenir les menaces sur son territoire : elle ne résume pas à elle seule, la capacité de sécurité de l’UE, elle n’en est qu’une partie.

Le traité de Lisbonne, contrairement aux précédents traités européens, prévoit de nombreuses dispositions favorables à une PSDC ambitieuse. Il a inversé une logique où une défense européenne crédible fut longtemps tenue pour suspecte. Tout n’est pas gagné mais à nous de mettre à profit, sur la base de ces textes, un nouvel état d’esprit en se servant de l’existant. Pour autant, comme tant de fois dans le passé, si une volonté politique solide est durable n’est pas au rendez-vous, ce sera une énième occasion manquée.

Même si un espace semble se dessiner pour une PSDC crédible, la défense est, et restera une responsabilité souveraine des États. Budgets de défense, stratégies, capacités, plus ou moins grande volonté ou capacité politique à s’engager militairement sur des théâtres de crise : autant de paramètres qui relèvent de la souveraineté nationale et d’elle seule. Sont en cause les gouvernements mais aussi les Parlements nationaux. Dans le domaine de la défense comme dans d’autres, ils doivent obtenir un espace d’expression accru. Il faut donc trouver l’équilibre délicat entre souveraineté et cohérence collective, entre des traditions diplomatiques, politiques et militaires très diverses pour tenter de construire une stratégie partagée, sur la base d’intérêts identifiés en commun.

L’exercice est donc difficile. L’adoption en juin 2016 d’une stratégie européenne a été un point de départ. Il faut désormais, et rapidement, construire du concret.

1 Six pays de l’Union européenne n’appartiennent pas à l’OTAN : l’Autriche, Chypre, la Finlande, Irlande, Malte et la Suède.