Chacun d’entre nous en fait le constat, les agressions et violences commises contre les élus locaux sont de plus en plus récurrentes.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur rendues public en mars dernier, le nombre de violences verbales et physiques contre les élus est passé de 1.720 à 2.265, soit une augmentation de 35%. Dans sept cas sur dix, il s’agit de menaces, injures ou outrages. Les faits de violences physiques (160 en 2022 contre 165 en 2021) restent stables mais à un niveau tout à fait intolérable.
Derrière ces statistiques, froides et graves, il y a surtout des femmes et des hommes qui, par sens du devoir, par goût de l’action publique, par amour de leur commune, par attachement à la République, s’engagent, sans compter leur temps, au service de leurs concitoyens.
Chaque acte d’intimidation, de violences, d’agressions commis à l’encontre de l’un ou l’une d’entre eux est une atteinte intolérable à la démocratie.
L’État sait trouver les maires et les élus locaux quand il s’agit d’amortir les tensions et les crises, qu’elles soient sociales, sanitaires ou sécuritaires, qui traversent notre société. L’État doit répondre présent quand ces mêmes élus deviennent les boucs émissaires ou les exutoires des mécontents, des frustrés, des délinquants.
Ainsi, c’est l’ensemble des pouvoirs publics, l’État bien sûr, ses représentants dans nos territoires que sont les préfets ou les sous-préfets, la police, la gendarmerie, et bien entendu la justice, qui doivent être pleinement mobilisés pour endiguer ce fléau.
Mais pour être pleinement efficace, un renforcement de notre arsenal législatif parait aujourd’hui nécessaire. C’est le sens de la proposition de loi que le Sénat a adopté, à l’unanimité, ce mardi 10 octobre. Je souhaite ici vous en présenter les principales mesures ainsi que les propositions que mon groupe et moi-même avons défendues pour les renforcer.
En premier lieu, nous avons voté la création d’une circonstance aggravante lorsque les violences sont commises contre un élu local. Notre droit pénal prévoit déjà des peines plus lourdes quand des violences sont commises contre un policier, un gendarme ou un sapeur-pompier ; ce sera désormais aussi le cas quand les faits sont commis contre un élu local.
Cette aggravation des peines s’appliquera également pour les délits d’injures ou de diffamation commis en ligne, sur les réseaux sociaux par exemple. Sur ce sujet, à l’initiative du groupe socialiste, écologiste et républicain, le délai de prescription de ces délits a été porté de trois mois à un an. L’expérience nous a montré que le délai de prescription de trois mois est beaucoup trop bref. Trop souvent les élus découvrent ces propos délictueux bien après leur publication, une fois le délai de prescription écoulé. Un délai d’une année devra leur permettre d’engager toute action devant les tribunaux.
En second lieu, nous avons voté l’octroi automatique de la protection fonctionnelle aux maires et à leurs adjoints victimes de violences, de menaces ou d’outrages. Actuellement, vous le savez, le bénéfice de la protection fonctionnelle nécessite une délibération du conseil municipal. Désormais celle-ci serait désormais de droit. Le conseil municipal aurait néanmoins la possibilité de s’y opposer, mais seulement « pour un motif d’intérêt général ».
Par cette mesure, nous souhaitons garantir une protection fonctionnelle effective pour les maires et leurs adjoints, ce qui n’apparaît pas être le cas à l’heure actuelle. Aujourd’hui encore, de trop nombreux maires renoncent à demander la protection fonctionnelle, en raison principalement de la méconnaissance de la procédure et de sa complexité et des difficultés à l’obtenir auprès du conseil municipal.
Au cours du débat, avec mes collègues sénatrices et sénateurs du groupe socialiste, écologiste et républicain, nous avons proposé que la protection fonctionnelle ne soit plus réservée aux seuls maires, adjoints et conseillers municipaux ayant reçu délégation, et qu’elle soit étendue à l’ensemble des élus municipaux. Toute agression ou violence contre un élu municipal est intolérable et il n’y a pas lieu de faire de hiérarchie selon que ce conseiller a une délégation ou selon qu’il appartient à la majorité ou à l’opposition.
Cette proposition a suscité une large adhésion, mais pour des raisons de procédure, notre amendement n’a pu être adopté. Néanmoins, nous avons obtenu l’assurance de la ministre en charge des collectivités territoriales que cette mesure sera introduite quand le texte viendra en examen à l’Assemblée nationale. Je veillerai à ce que cet engagement soit tenu.
Enfin, nous avons corrigé une anomalie législative qui revenait à exclure du bénéfice de la protection fonctionnelle les membres des communautés de communes.
En troisième lieu, nous avons souhaité renforcer l’information des maires sur les suites judiciaires données aux infractions constatées sur leur territoire. Actuellement, les informations sur les classements sans suites ou les poursuites engagées qui concernent les infractions commises sur le territoire d’une commune ne sont transmises au maire que sur sa demande ; désormais ces informations lui seront communiquées d’office.
Vous avez, comme maire, un rôle en matière d’animation et de mise en œuvre de la police de prévention de la délinquance au niveau local, il nous est donc paru nécessaire que vous puissiez disposer d’une image précise de l’état de la criminalité et de la délinquance sur le territoire de votre commune et de la réponse pénale apportée par la justice à ces faits.
En revanche, il y a une mesure dans cette proposition de loi qui nous paraissait tout à fait inopportune. Elle consistait à permettre au procureur de la République de pouvoir communiquer dans les documents et bulletins municipaux. Cette mesure nous a semblé plutôt inutile puisque les procureurs peuvent déjà, quand ils le jugent utile, s’exprimer dans la presse quotidienne régionale ou la presse locale, pour faire état des affaires judiciaires en cours qui concernent une commune. Mais plus grave, cette mesure risquait de soulever des difficultés pour les maires, qui vous le savez sont directeurs de la publication des bulletins municipaux. Plus largement, il nous a semblé qu’il s’agissait là d’une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.
Je me réjouis que nous soyons parvenus à convaincre un grand nombre de nos collègues sénatrices et sénateurs et que cette mesure, sans grand intérêt et source de confusion, ait été supprimé.
A l’issue de son examen par le Sénat, le texte que nous avons adopté est un texte plus précis, plus robuste, et le groupe socialiste, écologiste et républicain y a pris toute sa part.
Je souhaite désormais qu’il puisse être rapidement examiné par l’Assemblée nationale – le gouvernement évoque le mois de décembre – pour pouvoir ensuite entrer en vigueur dans les meilleurs délais.
Bien entendu, l’adoption de ce texte ne résoudra pas à lui seul les difficultés que rencontrent les maires et les élus. La protection que nous devons aux élus locaux, elle concerne évidemment leur intégrité physique, mais aussi les conditions d’exercice de leurs mandats.
La professionnalisation des élus locaux, sous l’effet de la complexification croissante de l’action publique locale, appelle désormais la création d’un véritable statut de l’élu, qui ne pourra être qu’un simple ajustement des droits et dispositifs existants. Il faut à l’évidence changer de logiciel, changer d’échelle. La richesse et la vitalité de notre démocratie locale en dépendent.