« Véhicule sans chauffeur : le futur imminent » : la Commission des Affaires européennes du Sénat s’interroge.

La Commission des Affaires européennes du Sénat s’est saisie d’une problématique primordiale pour l’avenir : Faut-il autoriser la circulation de voitures, bus ou camions dépourvus de volant et de pédales, dont l’itinéraire est déterminé par une intelligence artificielle ? Peut-on admettre que le réseau routier devienne l’apanage de robots sur roues ?

Lors de l’examen de notre rapport « Véhicule sans chauffeur : le futur imminent » présenté et adopté par la Commission des Affaires européennes le 26 novembre dernier, les sénateurs ont évoqué ces nombreuses interrogations.

La réponse est clairement négative tant que la cybersécurité n’est pas garantie. Mais l’essentiel, aujourd’hui, n’est pas là. Car la longue marche vers les déplacements routiers dépourvus de chauffeurs a déjà parcouru un chemin considérable : des navettes totalement autonomes transportent des salariés sur le réseau routier privé de leurs employeurs ; les salons de l’automobile comportent toujours plus de prototypes (dénommés concept cars par les professionnels) pouvant circuler de façon totalement autonome ; surtout les voitures haut de gamme destinées aux particuliers comportent des dispositifs de sécurité en nombre croissant, qui pourraient servir un robot aussi bien qu’un chauffeur humain.

Même si elle se limitera finalement à une assistance variable selon les routes empruntées et l’état de la circulation, donc toujours en présence d’un conducteur titulaire du permis de conduire, l’enjeu technique, industriel et économique restera fondamentalement le même : le revenu tiré de la mobilité routière ira pour l’essentiel à ceux qui auront mis au point les systèmes d’intelligence artificielle performants pour la sécurité des voyageurs et des piétons, à ceux qui auront réussi à imposer leurs protocoles de communication entre véhicules et avec l’infrastructure, à ceux enfin qui proposeront les meilleurs outils informatiques permettant d’organiser les flux de circulation afin d’éviter les ralentissements trop souvent déplorés en zones urbaines de grande taille. Relevant à la fois de toutes les problématiques inhérentes à l’intelligence artificielle et à la robotisation, la conduite sans intervention d’un chauffeur est par excellence le thème dont la maîtrise technique aura des conséquences déterminantes pour la géoéconomie du XXIe siècle.

Au demeurant, la portée de la recherche sur l’auto-conduite des véhicules ne se limite pas aux connaissances scientifiques et à la rémunération des applications utilisées à très grande échelle : la protection de la vie privée et le traitement des données personnelles, la maîtrise de l’intelligence notamment sont des enjeux majeurs dans le monde. La vision européenne, surtout en matière de données nominatives, est loin d’emporter un consensus enthousiaste à l’échelle de la planète. Pour obtenir que leurs préoccupations à ce sujet finissent par être prises en compte, les Européens devront rester groupés, mais aussi avoir obtenu droit au chapitre sur le plan technique. Des initiatives importantes ont été prises en ce sens courant 2017.

Présentée comme un moyen radical de réduire la mortalité sur les routes – surtout aux États-Unis, où la mortalité routière atteint un record parmi les pays développés, avec un taux deux fois plus élevé qu’en Europe, proportionnellement à la population -, la conduite sans chauffeur devrait diminuer drastiquement les accrochages caractérisant les zones urbaines, ainsi que les accidents sur autoroute. Pour le reste du réseau, trop de paramètres interviendront et trop d’incertitudes demeurent aujourd’hui pour formuler une prévision sérieuse, mais il semble réaliste d’envisager une baisse substantielle des sommes versées par les assureurs, sauf à réévaluer substantiellement les barèmes d’indemnisation, comme l’Allemagne l’a fait pour les véhicules autonomes au printemps 2017. L’incertitude demeure également quant à l’acceptation par les consommateurs d’un voyage effectué sans volant ni pédales…

Le robot-voiture conçu comme un salon sur roues – prenant toujours en charge la totalité du trajet quels que soient l’état de la route ou les conditions météorologiques et se garant tout seul – reste une vision de long, voire de très long terme.

La perspective temporelle est incontestablement bien plus rapprochée si l’on envisage la circulation autonome restreinte à une partie du domaine routier, par exemple sur autoroute: le délai ne devrait pas dépasser deux ou trois ans, au maximum. 

D’autre part, sont déjà disponibles des équipements de sécurité basés sur l’intelligence artificielle et déléguant à celle-ci une large part du rôle traditionnellement confié aux chauffeurs. Ainsi, les régulateurs de vitesse les plus avancés ralentissent au besoin pour éviter la collision avec les véhicules qui précèdent ; ils peuvent lire les indications de vitesse maximale et les respecter ; ils sont à même de reconnaître la signalisation à l’entrée des agglomérations, afin de réduire la vitesse dans la mesure exigée par le code de la route. Ces dispositifs de sécurité procurant une assistance poussée à la conduite connaissent aujourd’hui une diffusion comparable à celle qui présida jadis à la généralisation d’équipements de confort comme l’autoradio, la climatisation, la condamnation centralisée des portes ou le réglage électrique des sièges. Dès aujourd’hui, des camions autonomes opèrent déjà sur des chantiers et des navettes dépourvues de chauffeur transportent des salariés sur les voies parcourant des sites industriels.

La réflexion sur la conduite sans conducteur porte donc sur le présent et sur un avenir pour l’essentiel imminent à un niveau planétaire.

Les enjeux de la circulation sans chauffeur sont cruciaux, mais l’absence d’un cadre juridique commun entrave l’action de l’Union européenne, qui voit son rôle confiné pour l’essentiel à de l’incitation.

Retrouvez une courte de vidéo de présentation du rapport dont je suis co-auteure, dont vous pouvez consulter l’intégralité en cliquant ici.