Le 14 février 2018, la Commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure a auditionné Christian Mouhanna, chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).
Le CESDIP est l’émanation du Service d’études pénales et criminologiques du ministère de la Justice (SEPC) établi en 1969. Il s’agit d’une institution dotée d’une histoire déjà longue, et qui a quatre tutelles : le CNRS, le ministère de la justice, l’université de Versailles-Saint-Quentin et l’université de Cergy-Pontoise. Le CESDIP produit des recherches sur les phénomènes de criminalité, de délinquance et, plus largement, de déviance, ainsi que sur les institutions en charge de prévenir, contrôler, incriminer ou réprimer ces phénomènes, en premier lieu les institutions pénales.
Notre commission d’enquête s’interroge sur l’état actuel des forces de sécurité intérieure, alors que des mouvements de contestation débordant les canaux habituels, notamment syndicaux, se manifestent depuis quelques années, particulièrement au sein de la police nationale.
Nous sommes également interpellés par les nombreux suicides de policiers ou de gendarmes qui semblent, pour partie au moins, la traduction d’un malaise au sein des forces de l’ordre.
Des travaux menés dans le cadre de votre institution permettent-ils de mieux objectiver ces phénomènes et, éventuellement, d’en déceler les causes ? Comment peuvent-ils être replacés dans le fonctionnement général de notre système pénal, qui comprend également les institutions judiciaires.
Retrouvez l’intégralité des réponses de M. Mouhanna en cliquant ici.
De par mes fonctions, j’ai connu les différentes politiques qui ont été appliquées à nos forces de sécurité. C’est ainsi que les cartes judiciaires ont été modifiées. Dans l’Aude, nous comptions cinq tribunaux : il n’en reste plus que deux. Pour la justice de proximité et le suivi, ce n’est pas évident. On nous a expliqué qu’il fallait réduire les effectifs pour faire des économies.
Mon département disposait d’un maillage du territoire grâce à des commissariats et des gendarmeries adossés à des politiques de prévention de la délinquance. Dans une ville moyenne, on avait essayé de protéger au mieux les populations en lançant, dans les années 1980, les premiers conseils de prévention de délinquance regroupant la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les commissariats, la gendarmerie. On arrivait à avoir des instances de débat entre la commune et les forces de sécurité. Les zones de gendarmerie et de commissariat n’ont pas rempli les mêmes missions.
On a aujourd’hui abandonné la police de proximité et condamné l’îlotage. Un certain nombre de jeunes policiers de l’Aude se sont installés en Île-de-France ou sont partis à Toulouse après la fermeture des commissariats.
En milieu rural, on en revient à présent à des brigades de gendarmerie plus denses, mais on a vu se développer des zones liées à la production de produits stupéfiants, et la criminalité est arrivée dans des zones rurales où personne ne serait jamais allé la chercher.
Les problématiques ne sont pas les mêmes à Marseille, Tourcoing ou Paris, mais la délinquance existe partout. On constate un divorce entre la population et ses forces de sécurité, auxquelles elle était pourtant très liée. La base se sent oubliée !
Les deux tribunaux de l’Aude sont complètement engorgés. On n’a plus de suivi, les jeunes sont relâchés, et la population ne comprend pas.
Notre rapport doit dégager des pistes pour améliorer la situation, afin de ne pas procéder à un empilage nouveau qui n’aboutira pas, faute d’y mettre les moyens financiers.