Lutter contre les déserts médicaux et protéger l’hôpital public

Vous êtes nombreux à avoir souhaité m’alerter sur la fracture sanitaire dont sont victimes les habitants de l’Aude, me demandant d’agir auprès du gouvernement et au sein du Parlement pour permettre d’établir un véritable accès aux soins pour tous.

Votre inquiétude, je la partage entièrement. Vos arguments, je les fais miens.

En effet, environ 11 % de nos concitoyens, soit six millions de personnes, n’ont pas de médecin traitant. C’est le cas également pour 657 000 personnes en affection de longue durée (ALD) pour lesquelles cette question est encore plus vitale. Nos concitoyens ne trouvent pas les rendez-vous nécessaires ou ont peur de ne pas les trouver et de perdre des chances de guérison, les médecins eux voient les listes de patients s’allonger, se retrouvant de plus en plus dans l’obligation d’en refuser, tandis que les élus locaux multiplient les projets pour attirer les médecins.

Et oui il faut, comme vous l’indiquez, prendre en compte la dimension géographique et financière de l’accès aux soins. 30,6% des habitants de l’Aude vivent dans un désert médical lorsqu’il s’agit d’accéder à un ophtalmologue. Mais si l’on prend en compte l’accès aux médecins qui ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires, ce sont 66,6% des audois qui n’ont pas accès à un médecin.

Non il n’y a pas de réponse miracle. Mais les mesures incitatives ne suffisent plus non plus. Je suis, à titre personnel, favorable à des mesures coercitives comme le conventionnement sélectif des médecins, voire même l’installation forcée. Mais la majorité des élus ne l’est malheureusement pas, ce qui fait que des mesures tièdes sont régulièrement prises, mais qui n’aboutissent pas à résorber la fracture sanitaire … C’est pour cela que nous avons défendu une proposition de loi pour résoudre la fracture sanitaire qui propose des pistes concrètes. 

Le second pilier de la lutte contre les déserts médicaux, c’est la défense de l’hôpital public. À défaut d’une grande loi santé qui ne vient toujours pas, nous avons, nous sénateurs socialistes, à la suite d’un travail approfondi d’auditions de toutes les parties concernées (représentants des professionnels de santé, des étudiants en médecine, des collectivités locales, des associations de coordination en santé…) fait des propositions concrètes :

  • pour, d’une part, résorber la fracture sanitaire via une proposition de loi examinée au Sénat le 8 décembre dernier ;
  • pour, d’autre part, protéger l’hôpital public, des hôpitaux de proximité jusqu’au CHU via une proposition de loi qui instaure des rations de soignants par patients dans les activités de soins, examinée au Sénat le 1er février dernier.

Des mesures concrètes pour lutter contre les déserts médicaux

  • Irriguer nos territoires de 35 à 40 médecins généralistes par département dès 2023

Nous proposons une année obligatoire de professionnalisation pendant un an, en ambulatoire, c’est à dire auprès d’un médecin superviseur déjà installé en cabinet, en zone sous-dense, pour tous les jeunes médecins à la sortie de leur internat. Quelle différence avec ce que le Gouvernement a inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ? Cette année d’exercice en zone sous dense n’est pas facultative mais est une obligation, elle ne peut se faire qu’en médecine de ville (pas à l’hôpital même à titre dérogatoire) et n’est pas comprise dans l’internat pour que ces jeunes médecins aient un statut spécifique et soient rémunérés à la hauteur de leur travail et de leur investissement. Il ne s’agit pas de leur faire porter la responsabilité de la situation mais de de leur demander de participer à l’effort collectif en reconnaissant en contrepartie cet effort à sa juste valeur. C’est à ces conditions que nous pourrons irriguer nos territoires de 3500 à 4000 médecins en accès direct par an. En ayant vécu et expérimenté l’exercice médical en zone sous-dotée, ils seront plus à même de s’y installer durablement. Dans notre dispositif, les jeunes médecins choisiront librement leur affectation sur des listes départementales, établies avec les professionnels de santé et les élus.

  • Rompre l’isolement des médecins et rendre obligatoire l’exercice coordonné de la médecine de premier recours

Nous proposons de rompre avec l’exercice habituel de la médecine tel que nous le connaissons depuis des décennies. Les jeunes médecins ne veulent plus exercer comme leurs prédécesseurs, ils ne veulent plus exercer seuls dans un cabinet : ils sont demandeurs d’une pratique plus collective. Nous proposons donc de rendre l’exercice coordonné obligatoire, de même que les protocoles de partage des tâches entre le médecin traitant et les autres professionnels de santé (personnel infirmier, sage-femmes, assistants médicaux…). Cet exercice devra être souple : de la simple convention d’équipes de soins primaires à la maison de santé pluriprofessionnelle. Toutes les organisations permettant de dégager du temps médical devront être accessibles afin que chaque médecin puisse trouver la solution d’installation qui lui convient.

  • Rétablir l’obligation de garde des médecins libéraux

Sa suppression en 2002 par Jean-François Mattei marque l’érosion de l’offre de prise en charge : en 2021, seuls 38 % des médecins – toujours les mêmes – participaient à la permanence des soins ambulatoires (PDSA), laissant l’hôpital, engorgé, comme seul recours pour nombre de nos concitoyens.Nous devons renouer avec une obligation par bassin de vie, mais en concertation avec les professionnels et les établissements de santé : là aussi, ce sont eux qui sont les plus à mêmes de définir, en fonction du contexte local, l’organisation la plus adaptée et la plus efficiente.

  • Réguler l’installation des nouveaux médecins

Les aides à l’installation se multiplient, mais le résultat n’est pas à la hauteur. Il faut désormais franchir une autre étape et réguler l’installation, en étendant aux médecins libéraux ce qui existe déjà pour les sage-femmes, les infirmiers et les kinésithérapeutes. Au Canada, cette mesure a été efficace. Ainsi, un nouveau médecin libéral ne pourra être conventionné qu’à la cessation d’activité d’un médecin de la même zone, hors zones tendues. Cela prépare l’avenir, tout en étant peu contraignant au regard des nombreux départs en retraite à venir.

  • Aider financièrement de la même manière l’exercice libéral et salarié en maison de santé

La distinction entre exercice libéral et exercice dans les maisons de santé ne peut suffire à fonder des différences dans l’octroi des aides conventionnelles visant à encourager l’installation des professionnels ou le maintien de leur activité dans les zones sous-dotées. Ces aides ne sont pas systématiquement défavorables aux centres de santé, mais les médecins libéraux sont favorisés. Mettons un terme à cette inégalité de traitement qui se fait au détriment des centres de santé. 

Des mesures concrètes pour défendre l’hôpital public

Notre proposition de loi entend permettre aux établissements publics de santé, dans leur organisation interne, de garantir un nombre minimum de personnels soignants dans les services pour assurer une prise en charge de qualité et de bonnes conditions de travail. Parmi les mesures urgentes à adopter il est primordial d’offrir un cadre de travail décent et bientraitant aux professionnels de santé et de permettre une prise en charge des patients conforme aux exigences de qualité et de sécurité des soins. Une des préoccupations principales des soignants correspond au manque de temps et de moyens humains concourant à la dégradation de la qualité de vie au travail et de la qualité des soins. Dès lors, il est indispensable d’agir sur ce facteur temps afin de redonner du sens aux métiers du soin. Aujourd’hui, selon plusieurs organisations, c’est près de 10 % des emplois d’infirmières qui sont non pourvus entraînant de grandes difficultés pour faire fonctionner correctement les services.

Par ailleurs, une présence soignante insuffisante auprès des patients hospitalisés se traduit par une augmentation de la mortalité hospitalière et des risques psychiques pour les soignants. Une abondante littérature scientifique en matière de ratios patient par soignant permet d’affirmer que plus il y a de soignants par patient, plus la chance de survie des patients est accrue. En d’autres termes, l’objectif du droit à des soins de qualité n’est rempli qu’à la condition que des ratios efficients aient été respectés.Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’hôpital public relève enfin que « si des marges de manoeuvre pour libérer du temps soignant peuvent être obtenues par une simplification et une numérisation des tâches administratives, le renforcement des effectifs est nécessaire pour diminuer la charge de travail des soignants et améliorer les conditions d’exercice auprès des patients ».

Les premières mises en oeuvre de politiques de ratios « patients par infirmier » sont intervenues en Australie et aux USA, à la fin des années 1990. Elles se sont étendues depuis. Les résultats sont sans appel :  amélioration des indicateurs de santé, amélioration de la qualité de vie au travail des soignants, lutte contre l’épuisement professionnel, investissement positif en termes financiers. Le Ségur de la santé a certes permis une revalorisation salariale des professions de soins, mais elle reste toutefois insuffisante pour répondre à la crise de sens que décrivent les personnels hospitaliers et sans impact sur le nombre de patients par soignant. Face à cette situation, les pouvoirs publics doivent agir pour sauver un service public indispensable à notre société. Après que l’ensemble des professions soignantes ait été particulièrement exposé au cours de ces deux dernières années, nous souhaitons instituer pour chaque spécialité et type d’activité de soin, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires. Ce ratio servira à déterminer le nombre minimal d’infirmiers ou infirmières et d’aides-soignantes ou aides- soignants de jour et de nuit présents et prévus en équivalents temps plein rémunérés (ETPR). Il sera établi au plan national par la Haute Autorité de Santé. Il en va du maintien dans notre pays d’un niveau de qualité et de sécurité des soins conforme aux attentes de nos concitoyens.

Notre proposition de loi : 

  • Fait clairement la distinction entre les ratios de sécurité existants pour certaines activités spécifiques et les rations de qualité de soins plus généraux à construire
  • Fixe une validité de 5 ans à ces ratios afin qu’ils puissent être revus et adaptés régulièrement 
  • Prévoit l’adaptation des ratios à la spécialisation et à la taille des établissements 
  • Soumet leur approbation aux commissions médicales et chargées de soins infirmiers, de rééducation et médicotechniques pour une adaptation locale dans chaque établissement
  •  Instaure une procédure d’alerte en cas de non-respect des ratios de qualité au-delà de 3 jours 
  • Charge la Haute Autorité de santé (HAS) de définir pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier un ratio minimal de soignants par lit ouvert (en dehors des ratios de sécurité qui existent déjà pour quelques services/activités très spécifiques tels que la réanimation, les soins intensifs, lé néonatalogie…) ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, dans une approche en prise avec le terrain et les réalités des établissements.  

Que s’est-il passé au Sénat lors de l’examen de nos propositions ?

Nos textes sortent clairement de l’incitation, pour à la fois demander des efforts proportionnés aux médecins et aux étudiants, et développer concomitamment la coordination de tous les acteurs. 

Si nous instaurons un certain nombre d’obligations, nous en fixons le principe et le cadre tout en donnant aux professionnels concernés les moyens de se coordonner, de s’organiser entre eux et d’en choisir les modalités. C’est seulement avec ces efforts conjugués que nous pourrons préserver l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire.

1/ La majorité sénatoriale vote contre nos mesures pour lutter contre les déserts médicaux

Malheureusement, si un consensus peut être trouvé sur le constat de la situation catastrophique de l’accès à la santé et sur l’urgence à agir, l’examen de nos propositions de loi par le Sénat le 8 janvier dernier a démontré que ni le gouvernement ni la majorité sénatoriale n’était prêts à nous suivre dans ces propositions.  

2/ Le Sénat adopte notre proposition qui garantit un nombre de personnels soignants à l’hôpital !

Le 1er février dernier, le Sénat a adopté notre proposition de loi pour garantir un nombre de personnels soignants dans les services hospitaliers leur assurant de meilleures conditions de travail et une meilleure prise en charge des patients. Une avancée majeure pour l’hôpital public !