Le Sénat examine en ce moment le projet de loi d’organisation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI).
En tant que rapportrice du budget de la gendarmerie, j’ai tenu à me saisir de ce texte, attendu depuis longtemps. Et pour cause, un effort de planification s’imposait pour que la police nationale et la gendarmerie nationale disposent de tous les moyens nécessaires pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
De nombreux rapports parlementaires ont en effet souligné que ces moyens avaient souvent été insuffisants, avec des effets négatifs non seulement sur l’efficacité des forces de sécurité mais aussi sur le moral des agents. J’avais d’ailleurs participé aux travaux d’une commission d’enquête du Sénat sur l’état des forces de sécurité qui avait établi, il y a déjà quatre ans, une série de dysfonctionnements, dont beaucoup résultaient de cette insuffisance de moyens.
Alors, est-ce que ce texte constitue l’avancée tant attendue ?
Il y a indéniablement des aspects très positifs. En ce qui concerne la programmation, l’article 2 prévoit ainsi une hausse des moyens du ministère de l’intérieur, qui passeront de 21 milliards d’euros environ en 2022 à 25 milliards d’euros en 2027. Le rapport annexé annonce aussi la création de 200 brigades et de 7 escadrons de gendarmerie mobile, nous y reviendrons. En parallèle, le ministre de l’intérieur a promis la création de 8 500 emplois sur les 5 années de programmation, ainsi qu’undoublement de la présence des forces de sécurité sur la voie publique. Le rapport annexé prévoit aussi une grande transformation numériquepour s’adapter aux nouvelles formes de délinquance.
Voilà pour les aspects positifs, qui marquent une volonté de poursuivre l’effort en faveur des moyens en personnels et en matériels de la gendarmerie et de la police nationales.
En revanche, le principal reproche que nous faisons à ce texte est qu’il ne s’agit finalement pas vraiment d’une loi de programmation. L’absence de visibilité budgétaire ne nous permet pas de savoir comment seront répartis les effectifs supplémentaires entre police et gendarmerie. Il y a certes quelquesprécisions sur les moyens mobiles, avec l’annonce de nouveaux hélicoptères et d’un renouvellement d’environ 10% par an de la flotte de véhicules, police et gendarmerie confondus. En revanche, rien ou presque sur l’immobilier, alors même que nous savons que les casernes continuent à représenter un point noir pour la qualité de vie des gendarmes et de leurs familles.
Par ailleurs, nous n’avons aucune précision sur la création des fameuses 200 brigades de gendarmerie, et surtout sur le financement de leur implantation. On devine que les collectivités territoriales seront mises à contribution, mais avec quels moyens ? Investir dans de l’immobilier de la gendarmerie, c’est loin d’être une « opération blanche » pour une commune, contrairement à ce que disent certains responsables que nous avons entendus ! Du coup, on risque de voir les critères objectifs d’implantation devenir moins importants que la capacité de la collectivité à payer pour avoir ses gendarmes : ce n’est pas satisfaisant !
Enfin, la même imprécision règne sur la réserve opérationnelle, où nous n’avons pas de garantie que la montée des effectifs de 30000 à 50000 soit accompagnée des crédits nécessaires.
S’agissant de la compétence territoriale respective de la police et de la gendarmerie, le texte n’est pas satisfaisant. J’avais alerté à plusieurs reprises sur ce sujet. Nous sommes nombreux à avoir en tête des situations où la répartition territoriale des deux forces n’est pas adaptée, au détriment de la sécurité du quotidien. Cela peut d’ailleurs concerner aussi bien les zones périurbaines que les zones rurales.
Sur ce sujet, la position du ministre de l’intérieur est difficile à comprendre. En novembre 2020, le livre blanc sur la sécurité intérieure consacrait de longs développements à cette question, en essayant de clarifier les critères de répartition territoriale. Et finalement, le ministre a récemment déclaré qu’au fond cela n’avait pas vraiment d’importance, que la police et la gendarmerie étaient capables de s’organiser efficacement quel que soit le type de territoire.
Je ne partage pas cette analyse. Dans un rapport de l’année dernière intitulé « Le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur », la Cour des comptes indique que « Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur n’a pas été l’occasion d’une révision affirmée des limites géographiques des deux forces, ce qu’on peut regretter. La question doit être relancée et accompagnée d’une redéfinition des critères de délimitation des zones de compétence ».
La position actuelle du ministère de l’intérieur tend ainsi à gommer la spécificité des deux forces, avec le risque d’aboutir à une situation où l’on ne voit même plus la nécessité de cette dualité police gendarmerie. C’est pourquoi j’ai fait adopter par la Commission un amendement destiné à réaffirmer l’utilité de ces ajustements territoriaux et à indiquer que ceux-ci doivent être précédés d’une large consultation locale. Rappelons à ce propos que, dans un rapport rendu public en janvier 2021 sur l’ancrage territorial de la sécurité intérieure, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation avait recommandé d’« associer très étroitement les élus locaux à la conception et à la mise en œuvre de la nouvelle répartition police-gendarmerie et raisonner de manière pragmatique selon des bassins de délinquance».
Il y a un aspect connexe sur lequel je voulais également insister : il s’agit de la nécessaire coordination des deux forces sur un même territoire lorsque cela est justifié par des situations urgentes et exceptionnelles, ou par des phénomènes de délinquance communs. Une circulaire de 2011 a en effet mis en place ce que l’on appelle la CORAT, la coordination opérationnelle renforcée dans les agglomérations et les territoires, qui permet aux deux forces de s’affranchir de leur zone de compétence en cas de besoin. C’est un instrument potentiellement très utile, mais ces dispositions sont peu et mal mises en œuvre, comme la Cour des comptes l’a également souligné. Il s’agit donc de mettre en œuvre plus systématiquement cette possibilité de coordination en généralisant les protocoles départementaux police-gendarmerie qui doivent les organiser, après consultation des élus.
Sur la question de la création des 200 brigades, j’ai été un peu surprise d’apprendre que le choix des implantations semble en réalité déjà largement effectué, y compris la mise en place de brigades « volantes » qui nous laissent un peu dubitatifs. Les consultations, notamment des élus, viendront peut-être ensuite, mais il est dommage que tout soit déjà engagé alors même que la loi qui prévoit cette création n’est pas encore votée ! Nos amendements nous permettront d’interpeler le ministre sur cette question.
Sur les autres points du projet de loi, et notamment sur l’immobilier, il est seulement prévu de mettre en place un nouveau service chargé de « déterminer et présenter un « tendanciel de dépenses d’investissement » sur les projets immobiliers structurants du ministère de l’intérieur». Après les multiples alertes que nous avons lancées au fil des années, après le livre blanc et le Beauvau de la sécurité, cela nous paraît un peu décevant. C’est précisément sur un tel tendanciel de dépenses que nous aurions aimés pouvoir nous prononcer à l’occasion de cette loi de programmation !
La série d’amendements que nous avons déposée a été adoptée par la Commission des affaires étrangère hier et je m’en réjouis ! La suite aura lieu en séance dès la semaine prochaine !