Zones défavorisées simples : un combat durement mené au Sénat…


Le 6 juin dernier j’intervenais en séance au Sénat pour évoquer les problèmes posés par le mécanisme des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), un des plus beaux acquis de la politique agricole commune…

La réforme du zonage en cours de négociation avec la Commission européenne est un sujet d’inquiétude majeur pour nos territoires, nos agriculteurs et nos éleveurs : si elle entraîne des entrées de communes, elle implique 1 341 sorties sur un fondement totalement incompréhensible. Rien n’est prévu pour intégrer les communes exclues de la révision des cartes des zones défavorisées « simples » dans le zonage complémentaire des zones soumises à contraintes spécifiques.

Ces risques apparaissent particulièrement importants dans la région Occitanie. À titre d’illustration, dans notre département de l’Aude, pour les seules 25 communes des secteurs de la Piège et du Razès, pas moins de 55 exploitations agricoles seraient menacées de disparition.

De lui-même, ce sujet s’imposait.  Le 17 mai dernier, la commission des affaires européennes du Sénat, dans toutes ses composantes politiques, a unanimement adopté une proposition de résolution européenne dont je suis l’autrice. Ce texte tend à prendre en compte les conséquences économiques et sociales dévastatrices de ces sorties pour les territoires, notamment pour les exploitations les plus fragiles, dont bon nombre seront amenées à disparaître, alourdissant encore la désertification rurale.

Ces risques implacables dans toutes les zones concernées sont prégnants en région Occitanie, tout particulièrement dans les départements de l’Aude et du Gers. Derrière un point sur la carte se dessinent de véritables drames humains. Oui, la carte présentée le 20 février dernier est profondément injuste ! Se limiter à des négociations avec la Commission européenne sur des paramètres techniques de l’ICHN condamne à l’impuissance. Il faut donc envisager une approche plus ambitieuse en révisant le cœur du dispositif juridique, c’est-à-dire les articles 31 et 32 du règlement européen du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural.

Ma première requête consiste donc à demander la modification des termes de l’article 31 concernant les critères d’éligibilité des zones soumises à contraintes naturelles et à ajouter des critères obligatoires aux huit critères biophysiques existants.

Dans cette attente, ma seconde requête invite le Gouvernement à prendre en compte dès maintenant, au titre des adaptations régionales autorisées par l’article 32, le critère de continuité territoriale pour la définition du périmètre des zones soumises à contraintes spécifiques intégrant, de ce fait, des territoires plus étendus, et non uniquement des communes isolées, dans le zonage à contraintes spécifiques, qui se trouvaient jusqu’ici exclus de la cartographie des zones défavorisées simples.

Je suis convaincue que des outils existent pour réintégrer ces communes et pour les accompagner, j’ai la certitude que le Gouvernement en a connaissance et je veux qu’il assume les responsabilités attendues sur ce sujet primordial. J’ai donc remis en mains propres le texte de ma proposition de résolution au Ministre de l’Agriculture.

 

 

Retour, dans le détail, sur ma proposition de résolution européenne.

Le 19 avril dernier, j’ai déposé une proposition de résolution européenne qui demande la renégociation du règlement constituant la « clé de voûte » du mécanisme d’ICHN.

J’ai pris l’initiative de déposer cette proposition de résolution européenne, après avoir entendu l’appel des élus locaux et de nombreux agriculteurs de ma région. Ils nous adressent un véritable cri du coeur ! Mais aussi après avoir entendu de nombreux collègues interroger le gouvernement sur cette nouvelle cartographie, sans que ce dernier apporte une réponse claire sur les critères retenus. J’ai donc voulu aller plus loin.

En effet, la carte présentée aux membres du comité national de pilotage des zones défavorisées, le 20 février 2018, se traduirait, pour l’ensemble de la France, par la « sortie » de 1 341 communes du dispositif. Or une telle issue entraînerait des conséquences économiques et sociales dévastatrices dans nos territoires.

L’ICHN dans le détail

L’ICHN vise à éviter les distorsions de concurrence dues aux conditions naturelles. Trois autres dispositifs s’adressent aux agriculteurs débutant leur activité : l’aide à l’installation des jeunes agriculteurs, les taux d’intérêt préférentiels des prêts et les aides complémentaires à l’élevage.

Les ICHN jouent un rôle majeur dans le développement rural et le maintien de l’activité économique agricole, elles font partie de second pilier de la PAC et son financées à hauteur de 25 % par l’État, 75 % par l’Union européenne, ce qui représente, pour la France, 1 milliard d’euros par an.

Dans ces conditions, la réforme en cours du zonage de l’ICHN constitue, logiquement, un sujet d’inquiétude majeur pour nos territoires et nos agriculteurs. Il était, dès lors, opportun que le Sénat s’y intéresse.

Faisant suite à des observations de la Cour des comptes européenne datant de 2003, la Commission européenne a ouvert, à partir de 2009, des discussions techniques, sur un nouveau zonage de l’ICHN. L’Union européenne a ensuite engagé, en 2013, un processus de modification des critères d’éligibilité de ces zones.

La réforme en cours ne concernera pas les zones de montagne, pour lesquelles le critère de l’altitude est indiscutable – ce qui ne veut pas dire qu’il soit entièrement juste, car la situation n’est pas la même dans les Alpes, où il faut aller faucher avec une motofaucheuse et les plateaux du Haut-Jura. Elle affectera, en revanche, les deux autres catégories référencées de territoire : c’est-à-dire, en premier lieu, les zones défavorisées simples, appelées désormais « zones soumises à contraintes naturelles », et, en second lieu, les zones affectées de handicaps spécifiques, devenues « zones soumises à contraintes spécifiques ».

Cette réforme portera exclusivement sur des paramètres techniques, sans modification, de la réglementation européenne, soit les articles 31 et 32, ainsi que l’annexe III du règlement du 17 décembre 2013.

L’adoption récente du règlement dit « Omnibus » a, fort opportunément, repoussé d’un an l’échéance du dossier, jusqu’en 2019.

Sur le fond, l’ICHN est un sujet conflictuel entre Paris et Bruxelles.

L’origine de cette divergence est désormais ancienne. Se fondant sur les règles du Gatt, puis de l’OMC, la Commission considère que l’ICHN, telle qu’elle existe en France est, de facto, au-delà de la politique en faveur de la montagne qui a présidé à sa naissance, une aide couplée déguisée à l’élevage. Elle fait valoir, a contrario, depuis une vingtaine d’années, la nécessité d’une réforme, pour que ces aides figurent, à l’avenir, dans la « boîte verte ». D’où l’insistance de la Commission à ouvrir le bénéfice de l’ICHN aux productions végétales.

Cette position de principe n’a pu être qu’infléchie par les autorités françaises, car notre pays se trouvait relativement isolé en Europe, en ne bénéficiant que du soutien actif de l’Espagne, de l’Italie et de l’Autriche.

Dans ce contexte, depuis les années 2000, la stratégie des autorités françaises a consisté à accepter des aménagements successifs, pour maintenir l’économie générale de l’ICHN, tout en gagnant du temps.

S’agissant, en premier lieu, des zones « défavorisées simples », la Commission européenne, a remis en cause le travail de l’INRA, l’Institut national pour la recherche agronomique, portant sur l’application des critères biophysiques au territoire français, pour imposer sa propre grille d’analyse – ce qui peut toutefois se comprendre, afin que les critères soient identiques dans toute l’Europe.

Cela revient, par ricochet, à déclasser bon nombre de communes dans toute la France, pour une superficie totale atteignant, selon les estimations, 5 % voire 7 % du territoire national.

Les communes exclues des zones dites « simples » sont heureusement susceptibles d’être rattrapées au titre des zones spécifiques. Les États membres peuvent, en effet, y reclasser, de la sorte, jusqu’à 10 % de leur territoire national, grâce à de réelles marges de souplesse juridique : les « adaptations régionales ».

Pour les communes menacées de sortie du dispositif, tout dépendra des contours de la nouvelle carte nationale en cours d’élaboration, en fonction des critères retenus par la France, pour le cadrage national. C’est au ministre de l’Agriculture qu’il appartiendra d’arbitrer entre les multiples demandes provenant des territoires. Mais, c’est à la Commission européenne qu’il appartiendra de valider in fine lesdits critères techniques.

Je suis convaincue que nous devons réagir. Pour ce faire, la proposition de résolution est constituée de six considérants et de trois demandes précises.

Ces six considérants, outre le cadre juridique applicable, explicitent la problématique du sujet. Ils rappellent, tout d’abord, que la négociation en cours avec la Commission européenne risque de se traduire, pour ainsi dire mécaniquement, par des conséquences globalement défavorables pour la France.

Au terme de ce raisonnement, les trois points de la proposition de résolution européenne visent à sortir de ce cercle vicieux, en tranchant le « noeud gordien » de ce problème difficilement soluble.

En effet, se limiter à des négociations avec la Commission européenne sur des paramètres techniques de l’ICHN nous condamnerait à l’impuissance. Il nous faut donc envisager une approche plus ambitieuse, en demandant la révision du coeur même du dispositif juridique applicable, c’est-à-dire des articles 31 et 32 du règlement du 17 décembre 2013.

La première demande formulée par la proposition de résolution consiste à ajouter des critères supplémentaires, aux huit critères biophysiques de l’article 31. Par là même, il s’agirait d’augmenter le nombre des communes éligibles au dispositif des zones à contraintes naturelles dites « simples ».

Dans cette attente, le second point de la proposition de résolution européenne demande, dès maintenant, au titre des adaptations régionales autorisées par l’article 32 dudit règlement, d’ajouter le critère de continuité territoriale, pour les zones à contraintes spécifiques. On « récupérerait » ainsi des communes enclavées, des territoires plus étendus et non uniquement des communes isolées dans le zonage à contrainte spécifique, exclues jusqu’ici de la cartographie des zones défavorisées « simples ».

Enfin, la proposition de résolution invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

En l’état actuel des choses, la redéfinition du zonage des ICHN serait engagée sur les bases suivantes : le nombre des communes « classées », pour l’ensemble de la France, passerait de 10 429 à 14 133, soit un solde positif de 3 704. Il y aurait 5 045 entrées, mais également 1 341 sorties.

Naturellement, pour ces dernières et pour leurs agriculteurs, les effets de seuil auraient des conséquences très sévères. Outre l’Aude, d’autres zones sensibles en Occitanie seraient fortement touchées, notamment dans le Gers, le Lot, ou l’Aveyron. S’y ajouteraient une partie de la vallée du Rhône, la Dordogne, ainsi que les Deux-Sèvres, l’Indre-et-Loire, ou le Cher. D’une façon générale, au-delà de ces seuls exemples emblématiques, on retrouve des situations difficiles un peu partout en France.

Au niveau national, le risque de « saupoudrage » des moyens budgétaires, puisque ce solde net positif de 3 704 communes bénéficiaires interviendrait à enveloppe constante, ne peut être ignoré.

Je ne mésestime nullement la difficulté de ce dossier, qui a donné lieu, au total, à 120 simulations, sur la base, à chaque fois, de 20 critères différents, soit environ 2 400 combinaisons possibles.

Pour autant, la question de l’ICHN justifie, assurément, une action résolue des pouvoirs publics français, autant que la mobilisation des services du ministère de l’Agriculture. Ces efforts seraient vains, sans une prise de conscience au niveau européen qui, elle, reste à faire.