Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France !

Hier le Sénat a débattu sur les conclusions du rapport « Transformer l’essai de l’innovation  : un impératif pour réindustrialiser la France », à la demande de la mission d’information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française ».

Le débat a permis de revenir sur les temps fort des travaux de cette mission d’information et sur les principales recommandations formulées par ses membres.

Pourquoi ai-je tenu à participer aux travaux de cette mission ?

En tant que commissaire aux affaires étrangères j’ai notamment commis un rapport, aux côtés de mon collègue Pascal Allizard, appelant la France à contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois. Je suis également membre de la commission des affaires européennes et ces fonctions m’ont conduit à travailler au sein de l’intergroupe de notre haute assemblée sur le spatial. 

Alors, il m’a semblé que la question de l’innovation et de la recherche se trouvait, presque de façon évidente, au carrefour de ces travaux, car elle emporte avec elle les problématiques liées à la compétitivité, à la puissance, à la souveraineté, à l’autonomie stratégique de notre pays. 

Oui, le système français doit considérablement améliorer l’innovation et en faire une de ses priorités. Les propositions de notre mission d’information vont dans ce sens et gagnent à être entendues par les pouvoirs publics.

Mais le problème ne se limite pas à la France. La dimension européenne ne doit pas être oubliée. Nous devons être vigilants et conquérants en ce qui concerne les programmes européens. L’Europe doit même reprendre le leadership sur l’innovation de rupture.

Alors, face à l’avance technologique prise, ou en passe d’être prise par la Chine, comment faire de l’Europe une puissance qui résiste?

Prenons l’exemple de la 5G : La législation française est adaptée au contexte. Mais, il convient de rester attentif à l’évolution des risques sur l’ensemble du territoire européen. Tous les pays n’ont pas le même niveau d’expertise sur ces questions. Dans cette perspective, il convient :

– d’une part de soutenir la mise en oeuvre de la boîte à outils de l’Union européenne susceptible de faciliter la mise en oeuvre de mesures nationales dans le domaine de la 5G et de veiller à l’évolution des risques,

– d’autre part de soutenir la réalisation du projet Hexa-X et toutes autres initiatives et financements communautaires susceptibles de favoriser l’émergence d’acteurs européens de premier plan dans le domaine de la 6G

Soutenir, soutenir, oui mais comment ? La dimension est-elle seulement financière ? Et bien non ce n’est pas qu’une question d’argent. 

Déjà il s’agit de bien définir les thématiques sur lesquelles on peut créer un facteur de compétitivité, car c’est ce facteur de compétitivité qui permettra aux géants d’émerger. 

Ensuite il s’agit de soutenir les bons acteurs, et si possibles d’éviter les grands équipementiers non européens… Oui, la capacité de la France et de l’Europe à soutenir l’émergence d’acteurs européens alternatifs est certainement l’une des conditions sine qua non pour garantir notre souveraineté.

Appliquons maintenant ces prescriptions au secteur du spatial. Dans le domaine spatial, l’Union européenne doit se donner les moyens de rester un acteur majeur.

L’espace avait été l’un des fronts de la guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS, il est l’un des enjeux de la course pour la place de première puissance mondiale entre Washington et Pékin. La Chine est assurément une puissance spatiale majeure, qui mène de front des programmes d’exploration lunaire et martienne, des vols habités, des lancements de satellites à vocation scientifique, commerciale ou militaire, et même la construction d’une station spatiale chinoise. Que fait l’Europe pendant ce temps-là ?

Et bien cet exemple du spatial, c’est l’illustration de quatre axes d’attention que nous devons mettre en oeuvre :

– premièrement, nous devons faire preuve de la plus grandeprudence en matière de transfert de technologies ;

– ensuite, nous devons définir une politique nationale et une politique communautaire qui prennent en compte les récents développements des ambitions chinoises. N’oublions pas quela France est leader dans l’industrie aéronautique ! Elle a un rôle moteur à jouer dans ces définitions ;

– troisièmement, nous devons augmenter les budgets publics nationaux des Etats-membres. Je poursuis mon exemple en matière spatiale en évoquant l’importance de donner toute sa dimension au nouveau projet de constellation européenne pour la connectivité. Mais plus largement il nous faut réaffirmer la nécessité d’une recherche publique forte qui ne peut s’accommoder d’un enseignement supérieur en berne comme c’est le cas aujourd’hui et depuis si longtemps. Déjà, en  2012, un rapport de l’Académie des sciences sur les structures de la recherche pointait l’insuffisance de la dotation de l’état aux établissements de recherche et aux universités…

– enfin, l’Union européenne doit encourager le développement d’un secteur privé performanten mettant en place les conditions optimales à la croissance des start-ups innovantes.

C’est l’application cumulative de ces 4 grands axes qui permettra de favoriser l’innovation et la compétitivité

Ne pas le faire nous condamnerait à revivre sans cesse l’échec de la stratégie de Lisbonne.

Et le rapport de cette mission d’information va dans le bon sens. La plupart de ses préconisations est une déclinaison de ces 4 axes :

  • Faire de la commande publique un levier essentiel de croissance pour les entreprises industrielles innovantes ? c’est l’axe 2.
  • Faire de la propriété industrielle et de la normalisation des sources de compétitivité ? c’est l’axe 1.
  • Inciter les grands groupes à s’impliquer dans l’émergence et la croissance des entreprises innovantes ? c’est l’axe 4.
  • Élaborer, dès 2022, une loi pluriannuelle de programmation de l’innovation, pour renforcer l’efficacité de la politique de valorisation ? c’est l’axe 3 !

Vous l’aurez compris mes chers collègues, nombre de nos travaux vont dans la même direction. Est-ce à dire que c’est la bonne ? 

Le souci est que les mêmes idées ont presque toujours deux sens très différents : celui dans lequel elles sont exprimées, et celui dans lequel elles sont comprises…

J’en viens maintenant à un point important de ce rapport mis notamment en exergue par l’audition extrêmement intéressante d’André Loesekrug-Pietri par la mission d’information:

Nous préconisons de systématiser les évaluations ex post des politiques de transfert et de valorisationmenées par les organismes publics de recherche et les établissements d’enseignement supérieur. Et de confier cette nouvelle mission au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Oui, l’évaluation doit être une priorité majeure de nos politiques publiques. Elle est en même temps un enjeu essentiel et une culture que nous ne possédons pas.Et c’est bien dommage. Sans évaluation, l’attribution des financements sera naturellement fléchée vers les acteurs déjà installés, ce qui favorisera les consortiums qui bénéficient déjà d’un soutien européen, mais qui ne sont pas encouragés à se dépasser et à devenir les meilleurs, car les financements viendront quand même vers eux. Les industriels eux-mêmes le reconnaissent.

Nous devons faire l’inverse de ce que l’on fait aujourd’hui. Je cite Monsieur Loesekrug-Pietri : « on sécurise pour que le résultat en 2025 soit ce que l’on voulait en 2022, mais le monde aura changé trois fois entre-temps et on risque de tomber à côté. »

Et, si le rapport indique que nous devonsréorienter les aides fiscales pour mieux accompagner le passage à l’échelle des petites et moyennes entreprises innovantes, ce que je soutiens, je tiens à préciser qu’il nous faut commencer par évaluer l’utilisation du crédit impots-recherche pour qu’un terme soit mis aux stratégies d’évasion et d’optimisation fiscale si souvent dénoncées et pour endiguer son détournement par des bénéficiaires insuffisamment contrôlés.

Enfin pour aller jusqu’au bout de l’évaluation, interrogeons-nous sur le rôle que nous devons donner au Parlementdans les transformations que nous préconisons de mettre en œuvre.

Sur le modèle de la DARPA, l’Agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies qui rapporte au Sénat américain, nous devons également jouer un rôle important dans ces transformations,aussi bien dans le suivi des crédits budgétaires que dans le suivi de cette loi de programmation de l’innovationque nous appelons de nos voeux.

Pour lire le rapport c’est ici !